• A l’aventure, de Jean-Claude Brisseau (France, 2008)

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Où ?

À la maison, en DVD zone 2

Quand ?

Samedi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

A l’aventure (classé très haut dans mon top de l’année 2009, mais pour lequel je n’avais pas encore posté de critique sur ces
pages) se démarque nettement des deux précédents longs-métrages de Jean-Claude Brisseau, Choses secrètes et Les anges exterminateurs. Le sexe
n’est plus l’instrument – le plus puissant des instruments – de manipulation et de domination permettant de maintenir ou d’améliorer sa situation dans le système en place. C’est avant tout un
instrument d’émancipation, dont se servent et le film (qui démarre sous des auspices apaisés, libérés) et son héroïne Sandrine qui se délivre dans les premières scènes de ses chaînes sociales que
sont un fiancé et un travail aliénant. Elle est jeune, intelligente et veut en profiter pour expérimenter, prendre des risques ; vivre selon son propre agenda, ses propres désirs sexuels et
autres. Dans le sillage de ses rencontres aléatoires, la première partie de A l’aventure saute avec gourmandise d’un nouveau personnage à un autre, d’un sujet à un
autre. Il se retrouve ainsi à combiner des thèmes aussi disjoints que le sexe sans tabou (masturbation, échangisme, s-m soft – l’occasion de très belles scènes comme toujours chez Brisseau,
sensuelles et explicites sans jamais étouffer le mystère envoûtant de la chose), la science pointue (de la physique fondamentale, de l’astrophysique), la réflexion philosophique sur l’homme et
son organisation en société.

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De manière très fluide, A l’aventure évolue à partir de ce bouillonnant magma inaugural vers un second mouvement au cours duquel les thèmes ayant émergé vont être
étudiés jusque dans leurs retranchements par des personnages avides de souveraineté, de savoir, de complétude. Brisseau inverse dans cette partie les positions relatives de l’intrigue – repoussée
en arrière-plan – et de la réflexion, invitée à jouer les premiers rôles. Ouvertement factice, A l’aventure se soucie moins de raconter une histoire que de penser la
place de l’homme dans l’univers et sur le sens de son existence. L’objectif de ses personnages est de tutoyer le surhumain ; l’hypothétique exploitation complète de nos capacités. Les pistes
qu’ils explorent dans ce but sont le sexe, la physique, l’hypnose. Autant de concepts qui viennent effleurer les limites de l’entendement humain : l’infiniment petit des atomes, l’infiniment
grand des galaxies, le potentiel étonnant du corps et de l’esprit humain mis sous hypnose, la jouissance extrême et pourtant secrète, impalpable produite par les pratiques sexuelles. L’aventure
vécue par Sandrine et ses compagnons de passage passe essentiellement par la parole, la conversation – traduction du manque évident de moyens du film, mais aussi et surtout du fait que
l’élaboration et la pratique du langage est précisément ce qui donne à l’homme un statut à part. L’être humain est seul à avoir le pouvoir de mettre des mots sur absolument tout, y compris ce qui
le dépasse (ce qui inclut la jouissance, les atomes, les galaxies, etc.). C’est donc très justement par la parole que les héros de A l’aventure cherchent à se grandir
encore plus.

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Leurs recherches convergent toutes vers un même concept d’extase, que ces enfants d’Icare sont de plus en plus avides d’atteindre à mesure qu’ils enchaînent les succès et acquièrent de nouvelles
connaissances. Les thèmes en apparence disjoints du début se rassemblent à l’approche du Graal convoité, dans une progression en entonnoir captivante et parfaitement maîtrisée. Les chemins des
protagonistes et de la mise en scène, qui était depuis le début l’alliée des premiers, se séparent à la suite d’une partie de jambes en l’air à quatre qui semble gratuite – le film donne à ce
moment l’impression d’avoir dépassé l’horizon du sexe pour se hisser plus haut encore – et qui l’est, justement. Elle est le signe avant-coureur de l’échec des aventuriers, incapables de
sacrifier leurs pulsions physiques au profit de programmes plus illustres. Après cet écart, la mise en scène s’éloigne d’eux de manière irrémédiable. Elle conserve sa ligne directrice faite de
calme et d’un allant certain y compris face à la déchéance des êtres qu’elle filme ; elle devient de la sorte un observateur distant, à la froideur presque cruelle.

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L’échec final des héros, et la mélancolie douce-amère de l’épilogue qui s’en suit (deux personnes qui rien ne lie vraiment discutent devant l’immensité d’un paysage indifférent à la présence de
l’homme), sont d’autant plus violents. Au bout du compte, Brisseau a refusé de pousser le pouvoir de la parole jusqu’à lui octroyer la faculté de réaliser des miracles – comme cela pouvait être
le cas dans Ordet de Dreyer. Les
personnages de A l’aventure sont de simples hommes et femmes, quoi qu’ils rêvent ou ambitionnent. Et le monde est définitivement trop vaste et ses énigmes trop
impénétrables pour eux. Le film nous abandonne chancelants, titubants, écartelés entre la sensation grisante de la tentative de s’élever et la douleur de l’échec sanctionnant cette tentative.
Comme l’a écrit Nietzsche : « le regard se précipite vers les profondeurs [ici, le genre humain], tandis que la main cherche à se raccrocher aux hauteurs [le
surhumain] ».

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