• La casa muda, de Gustavo Hernandez (Uruguay, 2010)

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muda-4Où ?

Au Forum des Images, dans le cadre de la reprise de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs

Quand ?

Samedi soir, à 21h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Il serait extrêmement regrettable qu’en raison de sa provenance d’un pays évoluant en deuxième division pour le cinéma et de son déficit en noms connus, La casa muda ne
trouve pas le chemin des salles françaises. Spécialement en ces temps de sévère disette de films d’horreur notables – le dernier est Eden Lake, et remonte tout de même à octobre 2008. Devant La casa muda, on
a enfin à nouveau peur devant un écran de cinéma. Très peur, même. Le réalisateur Gustavo Hernandez est un brillant alchimiste, qui est parvenu à reconstituer le sentiment de peur dans ce qu’il a
de plus brut et de torturant à partir d’une installation cinématographique très sophistiquée. Sa pierre philosophale est la réunion de deux techniques de mise en scène, l’une classique et
l’autre tout juste apparue. La part traditionnelle de la formule consiste en l’insertion du film dans un temps réel à la fois vrai, puisque les soixante-quinze minutes du récit couvrent
effectivement soixante-quinze minutes d’action, sans ellipse ; et trompeur, car les différentes séquences sont raccommodées entre elles par des coupes invisibles selon un procédé bien connu
(dont je parle ici).

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La nouveauté apportée par La casa muda à ce concept se trouve dans l’appareil avec lequel il a été filmé, qui n’est pas une caméra mais un appareil photo numérique (le
Canon 5D EOS Mark II) doté d’une fonction d’enregistrement vidéo. Ce qui en fait plus qu’un gadget est la combinaison de sa courte focale et de l’extrême sensibilité lumineuse de son capteur CCD,
qui confère aux images filmées une netteté et un contraste prodigieux même avec une source de lumière unique et d’une portée limitée. La première fois que La casa muda
en apporte la preuve, on en reste sans voix. L’apport d’un tel outil au cinéma d’horreur ne fait aucun doute, et chaque nouvelle étape de cette virée dans une maison abandonnée, délabrée, plongée
dans l’obscurité avec ses fenêtres murées, traversée de bruits étranges et possiblement hantée en est une preuve éclatante. On n’a tout simplement jamais été autant pris aux tripes au cinéma (je
ne l’ai jamais été, en tout cas) sur la base d’éléments aussi binaires que l’enfermement dans un lieu dont l’on ignore tout et la vulnérabilité physique quasi totale. Tout ça parce que cette fois
le noir des ténèbres est vraiment noir, insondable, et qu’il dévore tout – jusqu’à le faire littéralement : le climax du film intervient lorsque l’héroïne Laura est dépossédée de sa
lampe, et n’a plus qu’un appareil Polaroid pour éclairer par des flashs l’écran englouti par le noir. [Pour les amateurs de jeux vidéo, oui, il s’agit d’une reprise exacte du principe de
Project Zero, et cette greffe parfaite au cinéma n’est rien d’autre que jouissive. Après coup, car sur le moment on est trop terrifié pour y penser].

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Hernandez insiste de manière très intelligente dans cette filière, aux deux niveaux de l’écriture et de la réalisation. Il n’est à aucun moment question que l’appareil photo / caméra soit l’allié
de Laura dans son expérience en solitaire de la maison. Le point de vue du film n’est pas le sien, mais celui d’un observateur indépendant et faisant plus preuve d’une curiosité malsaine que
d’une empathie franche à l’égard de Laura. La caméra reste ainsi toujours à proximité d’elle, mais passe le plus clair de son temps à la précéder dans les différentes pièces ou à prendre des
positions qui exacerbent l’impuissance du personnage en rendant le cadre ouvert à tous les dangers. Le film n’est pas l’allié de son personnage, et n’est donc pas non plus celui de son
spectateur. Il cherche explicitement à faire surgir la terreur, et l’évidence que nous sommes gouvernés par une entité qui en sait plus que nous (et qui abuse de cette supériorité) décuple cette
terreur.

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Le scénario est également en phase avec cette volonté, en maintenant formellement tout contenu psychologique en dehors du cadre du récit. La peur de La casa muda chemine
via nos émotions, pas par notre intellect. Rien ne doit donc relier les deux parties de notre cerveau. La scission ainsi opérée est semblable à celle présente dans Haute tension, avec cependant un basculement final un
peu mieux mené. Peut-être car il est moins rejeté en toute fin de film ; notre cerveau a le temps de s’y faire, d’accepter de voir les personnages et les événements sous ce nouveau jour. Ce
n’est certes plus tout à fait le même film, mais les épreuves que nous avons traversées auparavant ne sont nullement remises en cause. Et le choc provoqué par la construction maléfique qu’est
La casa muda n’est en rien atténué.

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