• Kill Bill, de Quentin Tarantino (USA, 2003)

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Où ?

En DVD zone 2 japonais (édition qui contient quelques différences dans le montage du premier volet), sur mon ordinateur portable en vadrouille à Wengen

 

Quand ?

Le week-end dernier

 

Avec qui ?

Ma femme pour le 1, qu’elle n’avait pas vu, et seul pour le 2, qu’elle avait déjà vu

 

Et alors ?

 

Choisir quel volume de Kill Bill on préfère, c’est peut-être comme se demander quel est son Beatles favori entre Lennon et McCartney : la réponse change à chaque fois que
l’on se penche sérieusement sur la question. Mon cœur penche en ce moment (de peu) du côté de Kill Bill vol. 2. La première partie reste cependant une merveille par bien des
aspects. Rarement la figure apparente de la vengeance a été aussi bien transcrite par le biais du langage cinématographique. L’entrée dans Kill Bill, ses chapitres 1 et 2, est une
démonstration brillante de ce que Tarantino sait faire et que la masse des spectateurs communs réclame de lui qu’il reproduise jusqu’à épuisement. Ce qui a autant de sens que de demander à un
chef étoilé de proposer toujours la même carte, aux assaisonnements près.

 

Le cinéaste commence quoiqu’il en soit par donner satisfaction à cette frange du public, ainsi qu’à tous les autres moins difficiles et plus ouverts aux surprises, avec un début de film
complètement déconstruit temporellement, où se mêlent : ultra-violence graphique et humour potache (le plan d’ouverture vs. le « Pussy Wagon ») ; agissements trash et
action spectaculaire (une pincée de « comatophilie » vs. le premier combat) ; emprunts aux séries Z et mise en scène sophistiquée (le eyepatch customisé infirmière vs. le
split screen reliant l’héroïne The Bride / Uma Thurman et Elle Driver / Daryl Hannah). Le tout ayant pour fond sonore l’habituel melting-pot musical débordant d’idées et de références.

Avant de risquer la redite, et parce qu’il lui reste un peu plus de trois heures pour vagabonder avant le face-à-face final entre The Bride et Bill, Tarantino file à l’anglaise avec son
personnage principal, direction le Japon. L’objectif est évident : vivre pleinement ses fantasmes de cinéphile reliés à ce pays. Trois fantasmes, pour donner naissance à trois
chapitres : un dessin animé grandiloquent et sanguinaire, réalisé par une équipe locale (Production I.G., à qui l’on doit entre autres les films Ghost in the shell), qui conte une vengeance avant la vengeance
– celle de O-Ren, le premier nom sur la liste de The Bride ; un aparté en deux scènes exquises, l’une burlesque et l’autre solennelle, écrites spécialement pour l’icône Sonny Chiba ; et
enfin, la pièce de résistance de Kill Bill vol. 1, le « Showdown at the House of Blue Leaves ». Soit une bataille rangée à l’épée d’une durée approchant la
demi-heure, mettant aux prises The Bride avec toute l’armée de O-Ren, puis avec O-Ren elle-même en duel. En bon élève, Tarantino ne copie ses maîtres que dans le but de les surpasser. Sa scène de
combat à l’arme blanche en lieu clos (un grand restaurant / nightclub à étage) est un monument du genre, de par son amplitude, son énergie, sa tension, et par-dessus tout sa limpidité. Il n’y a
pas un instant durant toute la séquence où l’on ne sache pas exactement où se situent les personnages ainsi que les actions qu’ils exécutent. Pour y parvenir, Tarantino n’a à aucun moment besoin
de se modérer sur les idées d’incidents, d’interrompre le fol écoulement de l’action ou même d’en hacher le rythme. Il possède le talent de mise en scène et de découpage nécessaire pour être à la
fois ambitieux et parfaitement lisible (ce dont il donnera une nouvelle preuve somptueuse dans le 2, au cours du combat opposant The Bride et Elle dans l’espace exigu d’un mobil-home). Alors
pourquoi s’en priver ?

Ce don cinématographique est la meilleure corde que Tarantino a à son arc pour mener à bien son deuxième grand projet : faire en sorte d’inviter le plus de monde possible dans sa tour
d’ivoire aux murs remplis de cassettes VHS de films connus de lui seul ou presque. Si les clins d’œil cinéphiles font en effet sourire ceux qui les saisissent, leur compréhension n’est nullement
nécessaire pour savourer Kill Bill vol.1. Tarantino n’a pas de message ou de point de vue sur le monde à faire passer, son seul but est de partager sa passion pour le septième art
le plus ouvertement et le plus joyeusement possible. Vu sous cet angle, Kill Bill vol.1 est une réussite triomphale de présentation et de sublimation du cinéma bis japonais.

 


…Mais tout de même, la seconde moitié est meilleure – à mon sens, en ce 29 août
2009. Les personnages y prennent vie. Il n’est pas anodin que les deux cibles atteintes par The Bride dans le premier volume ne soient que des ex-employés de Bill, alors que ceux de Kill
Bill vol.2
possèdent en plus un lien intime avec ce dernier : respectivement son frère Budd et la femme qui partage sa vie, Elle. Il n’est bien évidemment pas non plus anodin que
Bill y apparaisse enfin entièrement (on ne voit de lui que ses mains dans le 1). C’est même tout le contraire : l’entrée de Bill dans le récit donne à celui-ci une ampleur et une douleur
nouvelles, sans commune mesure avec la gratuité ludique de ce qui précédait. Le visage de Bill / David Carradine nous est dévoilé presque d’entrée de 2, seul un prologue déclamé face caméra par
The Bride sur fond d’atmosphère menaçante de film noir précédant cet événement. Pour cette révélation, Tarantino choisit une séquence en noir et blanc, très contrastée (d’autant plus même que la
scène se déroule en extérieur, dans le désert texan), qui accentue l’aspect buriné et imposant des traits du bad guy.

 

Lequel n’est justement pas introduit comme un bad guy. L’immense surprise de la scène vient de sa tonalité, étonnamment dénuée de toute violence et saturée de tristesse et de nostalgie.
Les deux ennemis intimes que sont The Bride et Bill y sont montrés pour ce qu’ils sont réellement : des amants passionnés que la vie a séparé, aucun des deux n’étant prêt à changer pour
emprunter la voie choisie par l’autre à partir du moment où elle s’est retrouvée enceinte de lui. Située sur le parvis en bois d’une chapelle, la scène est magnifiquement écrite, montrant le
fossé entre les deux personnages uniquement par les intonations, les silences, les phrases laissées en suspens. L’explosion de violence qui vient clore la discussion, et dont l’on sait l’arrivée
inévitable depuis le tout début du premier volet, est un aveu d’échec à s’entendre autrement. La virtuosité et l’excitation dénichées dans cette violence dans Kill Bill vol.1 ne
sont plus qu’un lointain souvenir, et il en sera de même tout au long du 2. A commencer par le chapitre suivant, qui met Budd sur la route de The Bride et qui constitue ce que Tarantino a tourné
(et peut-être, tournera) de plus proche d’une chronique sociale déprimée du quotidien des américains vivant dans des villes désincarnées. L’idée de génie du cinéaste est de faire du baraqué
Michael Madsen le plus fragile des cinq tueurs pourchassés par The Bride : épaules tombantes, moue déconfite, regard de chien battu. Il passe plus de temps à l’écran à se faire mépriser et
maltraiter par tous qu’à être dans l’action. Tarantino rend cela tellement bien que l’on en vient presque à regretter qu’il ne consacre pas un long-métrage entier aux malheurs de Budd.

Kill Bill vol.2 reprend des couleurs au tournant de la demi-heure de film, avec une géniale digression scénaristique comme Tarantino sait les imaginer, pour expliquer comment son
héroïne va parvenir à se sortir du cercueil dans lequel elle a été enterrée vivante. A l’instar de ce qu’il reproduit à foison dans son récent Inglourious Basterds, il pousse la maestria jusqu’à nous faire
comprendre le lien entre les deux séquences juste au bon moment pour que l’on savoure pleinement le dénouement de la chose, par une coupe placée exactement là où il faut. La cerise sur le gâteau
est l’accompagnement musical de l’échappée belle de The Bride, un morceau d’Ennio Morricone (L’Arena) dont le caractère épique combiné au travelling vertical choisi par Tarantino fait
passer la scène de réussie à fabuleuse.

Il s’agit là d’une autre marque distinctive du deuxième volume : la musique que l’on y entend ne joue plus un rôle de décalage malin, mais d’amplification des émotions profondes qui
traversent l’écran. C’est tout particulièrement le cas dans l’ultime chapitre, où la technique est employée à plusieurs reprises pour faire monter l’intensité émotionnelle du dénouement jusqu’à
un point proprement bouleversant. A côté de ses emprunts-hommages aux plus grands compositeurs, Tarantino utilise même pour la première fois des chansons contemporaines ; chose qui, au vu de
sa posture habituelle, représente pour lui la manière suprême de se mettre à nu par film interposé. Nul hasard à ce que ces deux chansons accompagnent les deux séquences réunissant The Bride et
sa fille qu’elle pensait perdue pour toujours : la tendre et poignante About her de Malcolm McLaren pour leur premier moment d’intimité, et la ballade apaisée Good night
moon
de Shivaree pour la toute fin. Tout de même, le moment de communion entre l’image et le son le plus inoubliable de Kill Bill vol.2 repose sur un emprunt
instrumental : « The demise of Barbara and the return of Joe » (du film Navajo Joe) d’« Il Signore » Morricone, apposé sur la mort de Bill.
L’espace d’une trentaine de secondes, Tarantino élève le cinéma à son plus beau, son plus fort.

 


Et puisque l’on parle de Bill, avant de mourir ce dernier est au cœur d’un événement rarissime dans un film de Quentin Tarantino : une scène coupée visible sur DVD. Croisons les doigts pour que
Maggie Cheung aie droit à la même session de rattrapage pour sa participation à Inglourious Basterds abandonnée sur la table de montage ; et en attendant, profitons à nouveau des
talents de kung-fu du regretté David Carradine.

 


 

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