• L’étrange affaire Angelica, de Manoel de Oliveira (Portugal, 2010) ; et un petit mot sur Boxing Gym, de Frederick Wiseman (USA, 2010)

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Où ?

Au Reflet Médicis, dans le cadre de la reprise d’une partie de la sélection Un Certain Regard pour le premier ; et au Forum des Images, pour la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs pour le
second

Quand ?

Mardi soir à 20h et dimanche après-midi à 14h30

Avec qui ?

Mon compère de films de festivals, et seul

Et alors ?

 

Ils ont 180 ans à eux deux, et pourtant Jean-Luc Godard (Film socialisme) et Manoel de Oliveira (cette
Étrange affaire dont il est question ici) n’ont eu aucun souci à faire de leurs nouveaux films des morceaux de choix de la sélection parallèle Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes – certains allant jusqu’à dire qu’ils auraient
largement eu leur place en compétition officielle. Concernant de Oliveira, sa dernière œuvre en date est légèrement moins perçante et fascinante que les Singularités d’une jeune fille blonde qu’il nous avait
faites découvrir il y a un peu moins d’un an. L’étrange affaire Angelica reste néanmoins dans l’absolu d’une beauté et d’une émotion toutes deux très grandes.
L’intrigue, très simple, fait écho aux nouvelles de la littérature fantastique du dix-neuvième siècle (Edgar Allan Poe, par exemple) : un photographe amateur, à qui il est demandé de
réaliser le portrait d’une jeune femme morte, voit celle-ci se manifester à lui et devient fou amoureux de ce spectre.

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Ce récit est mené sans fausse notre vers sa fin forcément tragique par le vieux briscard qu’est de Oliveira, avec une bonne dose de malice et une grande capacité d’invention formelle. Il nous
ravit par l’étonnante qualité picturale de la composition de ses cadres, quand il n’est pas occupé à nous surprendre par certaines idées brillantes de mise en œuvre d’un fantastique
« low-cost », d’une grande pureté. Le positionnement du récit dans une vallée encaissée entre deux flancs de collines est ainsi une idée brillante, qui fait que tous les lieux visités
par le héros sont à chaque instant visibles en arrière-plan, où que l’on se trouve. Et le plan tout simple où Angelina ouvre ses yeux sur son lit de mort et sourit dans le viseur de l’appareil
photo (et le montage qui a conduit à ce plan) vaut tous les effets spéciaux.

 

Sur un tout autre niveau, L’étrange affaire Angelica pose de belle manière la question de la place de chacun dans le monde ; et décrit le parcours de quelqu’un qui
justement ne trouve pas sa place, son moyen de rétrécir le monde qu’il occupe afin de le ramener à une échelle individuelle, de le rendre assimilable. Les personnages secondaires que sont la
tenancière d’une pension, les ouvriers agricoles, la domestique d’une famille bourgeoise, et même le mendiant qui ne sort pas de l’enceinte de l’église et du cimetière attenant sont autant
d’exemples de cette nécessité transformée en faculté. Mais le héros, lui, est incapable de considérer le monde autrement que dans sa globalité. Le fait qu’il soit le seul à naviguer entre les
différentes zones de la vallée, quand tous les autres habitants s’en tiennent à l’endroit qui leur est assigné, en est la preuve. Il est dès lors sujet à l’inconstance, au vertige, à
l’instabilité… et donc une proie facile pour la mort. Est-ce là le portrait que de Oliveira fait du métier de cinéaste (ou de photographe) : un être condamné par sa condition d’observateur
du monde à ne jamais pouvoir s’intégrer pleinement à celui-ci ?

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Un point sur lequel de Oliveira impressionne tout particulièrement est la manière dont il ouvre et referme son récit. Le début surgit fortuitement : un employé de la famille d’Angelica se
rend chez un autre photographe du village, qui est absent. Un homme passant à ce moment dans la rue lui suggère alors de se rendre chez celui qui deviendra donc, par hasard, le héros de
l’histoire à venir. La conclusion, elle, est d’une simplicité magnifique : après le décès du héros, sa logeuse ferme les volets de la fenêtre de sa chambre. Il n’y a dès lors plus de source
de lumière, l’écran devient tout noir, et c’est fini.

 

Le même phénomène d’ouverture et de fermeture marquantes, qui rehaussent la valeur de ce qu’elles bornent, apparaît dans Boxing gym. Le film est un spécimen classique de
la méthode documentaire de Frederick Wiseman – caméra neutre, très peu de plans d’ensemble, pas de voix-off, réalisation d’un portrait plus que d’un récit. J’ai plus apprécié Boxing
gym
que le récent La danse car ce dernier prenait place dans un monde (le corps de ballet de l’Opéra de Paris) à part, cloisonné alors que la salle de boxe
de la banlieue d’Austin laisse plus entrer la société dans son ensemble – hommes et femmes, jeunes et vieux, célibataires et parents, blancs et latinos… Et donc, cette photographie de groupe
est entourée par des montages de début et de fin inspirés, qui donnent en deux poignées de quelques secondes une toute autre dimension au film. L’ouverture commence par l’immensité indistincte du
monde qui nous entoure (visions du ciel, d’une ville) et zoome par une série de plans fixes jusqu’à un détail précis de ce paysage d’ensemble – la salle de boxe. La fermeture effectue le
mouvement inverse, en ressortant de ce lieu et en ouvrant de plus en plus son point de vue jusqu’à englober à nouveau la ville toute entière, et le ciel. On redécouvre alors que la salle de boxe
est un fragment microscopique de cette vue d’ensemble ; mais nous savons maintenant qu’elle abrite malgré tout quantité de récits, d’interactions, de vies. La conjonction de ces deux faits
donne soudain le vertige.

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