• Turning gate, La femme est l’avenir de l’homme (Hong Sang-soo, Corée du Sud, 2004)

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Outre la proximité temporelle de leurs sorties en salles (janvier et mai 2004), les rapprochements évidents entre les thèmes et motifs de Turning gate et de La femme est
l’avenir de l’homme
justifient de les éditer au sein d’un même coffret comme l’a fait MK2. Ainsi, les situations de départ des deux films sont similaires, avec dans les deux cas un
triangle amoureux constitué de deux hommes et d’une femme. Triangle qui se forme au gré de rencontres fortuites dues aux hasards de la vie : la combinaison d’un coup de téléphone de reprise de
contact et d’un échec professionnel dans Turning gate, des souvenirs ravivés par la vision fugitive d’une jeune femme passant dans la rue dans La femme est l’avenir de
l’homme
. On a tous connu des situations comparables à celles-ci, ce qui crée un lien indéniable entre le spectateur et les personnages des deux films. La relative banalité du contexte et
des péripéties consolide ce lien : les protagonistes des deux films habitent dans des banlieues résidentielles comme il en existe partout dans les pays développés, ont des situations
professionnelles classiques (professeur, artiste, femme au foyer…), et se rencontrent au restaurant ou dans les maisons des uns et des autres. Hong Sang-Soo excelle à décrire ces petits riens
de la vie quotidienne et ainsi à recréer un univers vivant et réaliste. C’est au sein de cet univers que le réalisateur coréen fait se jouer le plus classique et le plus insoluble des drames
humains : la difficulté des relations amoureuses entre hommes et femmes, et la solitude intrinsèque de chacun.



La phrase d’Aragon « La femme est l’avenir de l’homme » qui sert de titre à l’un des deux films est une excellente description du cinéma de Hong Sang-Soo, dont le thème récurrent est
l’incapacité des hommes à mûrir et à faire face aux responsabilités qui leur incombent en tant qu’adultes. Au lieu de cela, ils se complaisent dans une éternelle adolescence en se comportant de
manière immature. Immaturité qui se révèle au grand jour dans leurs relations avec les femmes, lucides et qui savent ce qu’elles veulent. Cet antagonisme est au coeur de Turning
gate
, via le récit de deux aventures sentimentales de Gyung-soo, le personnage principal. Lorsque la première de ces histoires se fait trop sérieuse, Gyung-soo fuit lâchement, par le
biais d’un dialogue laconique au téléphone : « Tu m’aimes ? » demande-t-elle ; « Je ne sais pas quoi te dire » répond-t-il après un long silence. Il n’y a jamais de grande scène
mélodramatique chez Hong Sang-Soo ; qu’il s’agisse de leurs doutes, leurs espoirs, ou bien des petites mesquineries dont ils sont capables sous le coup de la déception, tout s’exprime par le
non-dit, par l’absence ou la présence physique, et de manière tellement claire que les mots en deviennent superflus.



Par le fait d’un destin à la fois tragique et facétieux, la seconde liaison vécue par Seon-young reprend le cheminement de la première : rencontre fortuite, flirt, scène de sexe rejouée presque à
l’identique… Seule différence, le caractère adolescent de Gyung-soo éclate cette fois au grand jour car cette relation est vouée à l’échec dès le départ (Seon-young, la femme dont il s’éprend,
est en effet mariée) : on le découvre ainsi proposant à Seon-young de se suicider ensemble dans un soudain élan de romantisme complètement hors de propos. Cette deuxième partie du film (un peu
moins passionnante à suivre que la première de par la redondance entre les deux) s’achève sur une note désenchantée : Gyung-soo finit seul, et on peut sans peine l’imaginer errant d’aventure sans
lendemain en aventure sans lendemain, alors qu’autour de lui les portes des maisons et des couples se ferment les unes après les autres.



La femme est l’avenir de l’homme reprend les mêmes figures, mais de manière resserrée et épurée. Toutefois, loin d’être une simple redite de Turning gate, ce film
en est une variation affinée, plus tendue. Plus difficile d’accès aussi ; la force et la maîtrise de La femme est l’avenir de l’homme ne se révèlent au spectateur qu’à la deuxième
vision, car la brutalité de certains choix de mise en scène et de scénario déboussole dans un premier temps. Hong Sang-Soo prend en effet tout son temps pour développer en détail (en particulier
via deux longs flashbacks intégrés avec brio au récit) la situation de départ du film, à savoir un nouveau triangle amoureux. Ce dernier se situe dans le prolongement de celui de Turning
gate
, avec un couple (Hyeon-gon et Sungwa) brisé par le départ précipité de Hyeon-gon aux États-Unis. Mun-ho, le meilleur ami de Hyeon-gon, en profite alors pour sortir à son tour avec
Sungwa. Mais lorsque le réalisateur fait se retrouver les deux personnages masculins quelques années plus tard, ce n’est pas tant Sungwa qu’ils partent chercher mais le souvenir de l’époque
insouciante que représentait leur jeunesse, quand tous les chemins s’offraient encore à eux et qu’aucun engagement ne leur était demandé. Les retrouvailles – que l’on pourrait plutôt qualifier
d’affrontement – seront du coup brèves et blessantes pour tous.



L’importance des non-dits est encore plus grande que dans Turning gate. Il y a en permanence une expression du visage, une hésitation pour trahir les sentiments réels des
différents personnages ainsi que leur incapacité à les exprimer franchement vis-à-vis d’autrui. C’est par exemple le cas à la fin du repas que les trois héros du film ont partagé dans
l’appartement de Sungwa, lorsque celle-ci accompagne Hyeon-gon dans la chambre… tout en ayant le regard fixé sur Mun-ho qui lui dormira sur le canapé. Un simple regard qui veut tout dire, et
qui sera le déclencheur de la rupture brutale entre les trois personnages. Rupture au cours de laquelle les hommes se conduisent une nouvelle fois de manière immature, soit en refusant le
dialogue (Hyeon-gon), soit en fuyant avant que l’histoire d’une nuit ne se transforme en relation sérieuse (Mun-ho). La conclusion de La femme est l’avenir de l’homme est encore
plus noire que celle de Turning gate : en réduisant au strict minimum la durée de sa deuxième liaison – avec une étudiante qui a déjà un petit ami – ainsi que ses implications
sentimentales (il n’y est absolument pas question d’amour, au point que même le sexe y est froid et mécanique), Hong Sang-Soo n’offre même pas à Mun-ho le charme romantique qu’avait Gyung-soo, le
héros de Turning gate. Les deux hommes partagent toutefois la même irrésolution, qui les conduit à la même destinée : la solitude, qui de film en film s’avère être le pivot du
cinéma de Hong Sang-Soo.

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