• Steve Carell, génie inconnu (de ce côté-ci de l’Atlantique) : The dinner, de Jay Roach (USA, 2010) et Coup de foudre à Rhode Island, de Peter Hedges (USA, 2007)

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Où ?

Au Publicis cinéma pour The dinner et à la maison, enregistré sur Canal+ pour Coup de foudre à Rhode Island

Quand ?

Samedi matin à 11h (seule séance de la semaine sur toute la France) pour le premier et il y a une
dizaine de jours, un vendredi soir pour le second

Avec qui ?

Respectivement seul et avec MaFemme

Et alors ?

 

Les 21 (comptage réalisé par mes soins) spectateurs de cette unique séance de sa deuxième semaine d’exploitation, additionnés aux 679 de la première, permettent à The
dinner
d’atteindre le seuil exceptionnel des sept cents entrées au box-office. Aux USA, il y en a eu au bas mot sept millions… Le grand écart de popularité de Steve Carell, premier
rôle du film, entre ici et là-bas prend des proportions réellement vertigineuses – même s’il n’a pas égalé l’exploit de ses prédécesseurs Ben Stiller  et
Will Ferrell, dont les comédies
Mystery men et Anchorman avaient en leur temps disparu après une unique semaine à l’affiche en France.

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Une différence de taille doit être relevée : pour Stiller et Ferrell, les œuvres citées ci-dessus appartenaient à la première phase de leur carrière, avant que l’un comme l’autre commencent
à être connus et reconnus. Carell, lui, a déjà eu son lot de légères percées auprès du public français. Le 40 year old virgin d’Apatow, c’est lui. Le petit chef hilarant et ahurissant de la sitcom
The office, diffusée sur Canal+ (ok, aux alentours de minuit…), c’est lui. Et l’oncle barbu et dépressif de Little Miss Sunshine, que tout le
monde avait vu en son temps, c’est encore lui. Mais Carell reste dans l’ombre des personnages qu’il crée ; un comédien pur et dur plutôt qu’une star. Son nom n’a dès lors pas le poids
suffisant pour contrebalancer le péché originel de The dinner, qui est d’être un remake. Pire, un remake d’un film français. Notre orgueil national étant ce qu’il est,
dans ce genre de situation l’adage qui veut qu’un remake est forcément un mauvais film (alors que les contre-exemples pullulent) voit sa force décuplée et le droit du remake en question à une
audience critique et commerciale équitable est totalement bafoué. Combien de personnes sont au courant de la sortie de ce film ?

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Pourtant, il devient rapidement clair que The dinner n’a que très peu à voir avec l’original français, Le dîner de cons. Seuls restent le
concept du dîner auquel des bourgeois invitent des abrutis dans le seul but de se moquer d’eux, et quelques éléments caractéristiques des personnages. A partir de ceux-ci le scénario a été
réécrit de zéro, sur la base des standards comiques américains actuels. Une heure durant Barry / Steve Carell met involontairement tout en œuvre pour transformer en champ de ruines la success
story
que vivait Tim / Paul Rudd (un des membres réguliers de la bande à Apatow), trader en pleine ascension au sein du fonds d’investissement pour lequel il travaille, fiancé à une femme
idéale, et doté des signes extérieurs de richesse les plus marquants – appartement immense, voiture de luxe. Cette vie idéale est le terrain de jeu idéal pour les sales gosses irrespectueux qui
sont aujourd’hui à l’avant-garde de la comédie américaine. Leur bêtise sans limite est leur plus grande arme, et le carnage qu’ils arrivent à provoquer sur cette base est fabuleux. Barry fait le
mort et imite le pingouin, confond les dates, la fiancée de Tim et une de ses ex, ou encore la Suisse et la Suède en présence d’un riche client suisse de Tim, et inévitablement ces marques de
stupidité aboutissent en calamités – évidemment – jubilatoires.

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Cette envergure nouvelle du remake par rapport à l’original offre également un espace à l’essor de seconds rôles eux aussi nuisibles et hilarants. Les talents comiques de Jermaine Clement
(Flight of the Concords, Gentlemen Broncos) et Zack Galifianakis (Very
bad trip
, Bored to
death
) viennent ainsi en support du leader Steve Carell, lequel réussit l’incroyable tour de force de créer un personnage aussi stupide et désespérant que celui de
The office, mais dans un style radicalement différent. Tel un grand chef, il ne se contente pas de réutiliser sa recette miracle mais en écrit une nouvelle utilisant une
liste d’ingrédients entièrement différente. Quand son Barry et un ou plusieurs autres nigauds se retrouvent dans la même scène, les étincelles comiques et les dégâts collatéraux s’en trouvent
démultipliés. Sur cette base, la concentration de crétins excentriques rassemblée en un même lieu par les convives du dîner de cons final se retourne évidemment contre eux : nulle
intelligence, nulle fortune ne peut lutter contre un bataillon d’idiots fiers de l’être. Cette solution – employer la crétinerie comme arme de destruction massive – trouvée par l’équipe de
The dinner pour mettre fin au règne mondial des spéculateurs et des rentiers a toutes les qualités et aucun défaut apparent. Il faut certes rappeler que c’est le duo
Ferrell / McKay (Step brothers,
The other
guys
) qui avait jeté sur le papier les bases de la méthode ; mais The dinner est le film qui en donne l’expression définitive.

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Et pour ceux qui douteraient encore que The dinner a autant à voir avec Le dîner de cons qu’avec
Oncle Boonmee
, qu’ils sachent que la version américaine du dîner peut être décrite comme une parodie déjantée du télé-crochet America’s got talent par la fine
fleur du Saturday night live. Avec, en bouquet final, un duel de « mind control » entre Steve Carell et Zack Galifianakis (affublé d’une cape). Et là, tout est dit.

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Une autre performance récente et remarquable de Steve Carell intervient dans Coup de foudre à Rhode Island (titre autrement plus rentre-dedans que l’original Dan in
real life
). Même dans le cas où il ne serait pas un bon film, celui-ci vaudrait le coup d’œil rien que pour les rôles inattendus, presque des contre-emplois, qu’il offre à ses deux acteurs
principaux, Juliette Binoche et Carell, donc. La première fait le mur et fugue loin de ses incarnations habituelles de personnages cérébraux et tragiques, en endossant les habits d’une héroïne
typique de comédie romantique à l’hollywoodienne : instantanément séduisante, physiquement mise en valeur, drôle, souriante, et n’étant habitée par aucun souci que l’amour ne peut régler. Ce
changement de registre est substantiel et savoureux, mais ne peut sérieusement concurrencer celui de Carell, qui relève une fois de plus de la métamorphose. Le personnage de Dan, qu’il incarne,
se définit pourtant en deux mots – c’est un mec normal, average. Mais mise entre les mains de l’inventeur de tant d’énergumènes anormaux, une telle propriété devient une source de folle
curiosité. Laquelle est immédiatement assouvie : à peine apparaît-il à l’écran que Carell est incontestablement crédible – et, surtout, touchant. Jamais ses antécédents humoristiques ne
viennent interférer avec ce lien d’empathie entre le spectateur et Dan, personnage qui doit composer au jour le jour avec ses différents statuts non désirés de veuf encore jeune, de père de trois
jeunes filles, et d’élément à la marge par rapport aux normes en vigueur dans sa famille. Carell se fond dans ce rôle, et se réinvente en lui, avec autant d’aisance et d’évidence que dans ses
caricatures comiques les plus extrêmes. Il le fait exister avec une justesse dont peu d’acteurs de composition sont capables aujourd’hui.

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En plus d’avoir mis dans le mille en matière de casting, Coup de foudre à Rhode Island est un bon film. Il tire cette qualité de la tendance prépondérante dans le cinéma
américain qui veut qu’aucun personnage ne soit déprécié par rapport aux autres. Tous ont leur valeur, leur humanité, leurs mérites qui doivent leur permettre d’obtenir notre considération et
notre sympathie. Cela dégénère fréquemment en guimauve indigeste et extravagante dans sa bienveillance (cas d’école : Little Miss Sunshine, cité plus haut), mais
lorsque le réalisateur sait contrôler le taux de sucre le résultat peut être d’une délicieuse finesse. C’est le cas ici de Peter Hedges (scénariste de Gilbert Grape et
Pour un garçon), qui instaure un équilibre entre toutes les facettes, les chaleureuses comme les plus sombres, que peut présenter une réunion de famille dans une grande
demeure le temps d’un week-end. Aucun membre de la famille de même qu’aucun événement du week-end n’est réductible à une seule dimension ; l’allégresse et le spleen sont présents en chacun
d’entre eux. Le fil rouge du récit en donne le ton doux-amer : Dan et la nouvelle copine de son frère (qui est du genre à collectionner les conquêtes) sont tombés raides amoureux l’un de
l’autre, en se rencontrant par hasard juste avant le début des festivités du week-end. Cette rencontre et cette affinité grandissante, qu’ils vont devoir cacher tant bien que mal à tous les
autres convives, débouchent sur une série de quiproquos comiques et de tiraillements sentimentaux, que Hedges traite avec doigté et clairvoyance. De la sorte il n’y a pas d’un côté les séquences
drôles et de l’autre les tristes, reliées entre elles par de grosses ficelles artificielles ; Coup de foudre à Rhode Island forme un ensemble homogène, une tranche
de vie sensible et sincère. Et illuminée par la présence de ses deux comédiens principaux, dont le décalage ne pouvait mieux tomber : Binoche sait apporter une touche de gravité à son rôle
frivole, et Carell de la légèreté à son personnage marqué par le sort.

2 réponses à “Steve Carell, génie inconnu (de ce côté-ci de l’Atlantique) : The dinner, de Jay Roach (USA, 2010) et Coup de foudre à Rhode Island, de Peter Hedges (USA, 2007)”

  1. D&D dit :

    Plaisir de lire un billet évoquant le talent de Steve Carell, que je trouve également assez démentiel. Je l’ai beaucoup aimé aussi dans « Coup de foudre… », tout comme Binoche, mais le film m’a
    moins retenu que vous.
    Pour autant, j’irai voir « The Dinner ». J’ai failli éviter, « à cause du » film d’origine. C’est idiot.

  2. D&D dit :

    Oh la la… Décidément je ne m’habitue pas aux nouveaux rythmes d’exploitation. Merci pour ces précisions.