• Funny people, de Judd Apatow (USA, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans l’une des trois grandes salles (bien moins pleine que ce que devaient espérer la direction du cinéma et les fans du réalisateur dont je fais partie, mais en même
temps c’était un soir d’orages démentiels, alors ne perdons pas espoir)

 

Quand ?

Vendredi soir, à 22h

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Le titre de Funny people est trompeur à son insu : le film est tout sauf une comédie, et n’est drôle que par intermittence, d’un humour cynique et acerbe. Et c’est tant mieux, car
son interprète principal Adam Sandler n’a jusqu’à maintenant jamais été aussi bon que dans son unique rôle non comique, dans Punch-drunk love de P.T. Anderson. Funny people confirme ce que ce premier essai laissait
entrevoir : Sandler est un acteur au potentiel dramatique foisonnant et trop exploité. La brèche inquiétante et dangereuse qu’ont en eux tous les comiques talentueux est chez lui potentiellement
béante pour qui se décide à l’ouvrir. Anderson avait fait de Sandler un être ambivalent, capable du meilleur comme du pire une fois terrassé par un coup de foudre amoureux. Apatow lui donne le
rôle, plus classique mais pas moins fort, du clown aigri et misanthrope dont la relation avec son public est sur le mode « je t’aime, moi non plus » – eux l’adulent, lui les déteste.

Funny people est le récit d’une crise de la quarantaine. Pas celle, édulcorée et éculée, qui alimente les magazines en mal d’idées et les scénarios dopés aux clichés. Mais la
vraie, dont les sujets se demandent un beau jour s’ils n’ont pas tout simplement raté leur vie dans les grandes largeurs, lorsqu’ils se retournent sur ce qu’ils ont accompli ces vingt dernières
années et ne voient qu’une personne s’étant fixé sur des rails qui n’étaient pas les bons, mais qu’aucun aiguillage ne peut permettre de quitter. Cette personne est dans la première moitié du
film Adam Sandler alias George Simmons, comique ultra-célèbre et multimilliardaire qui un jour s’entend diagnostiquer une maladie mortelle. Dans un second temps, une fois George guéri
grâce à un traitement expérimental, ce sera à son tour d’être l’élément perturbateur auprès de son ex-petite amie Laura, désormais mariée et mère de deux enfants. A l’échelle du film pris dans
son ensemble, c’est Judd Apatow lui-même qui effectue ce travail d’introspection aux frais du producteur Universal. Il regarde la mort en face, et ce n’est pas beau à voir (délitement physique du
personnage de George, exposé sans détour dans des gros plans dérangeants ; et surtout délitement moral, sa santé défectueuse faisant ressortir le pire en lui). Mais plus encore, il fait de
son film le siège d’une réflexion profonde et presque inquiète sur l’acte comique en soi.

Funny people est l’antithèse d’une comédie car il ébranle la base de toute comédie, qui consiste à assurer la présence des conditions adéquates entre le personnage auteur de la
blague / personnage récepteur (ou victime) de la blague pour que la dite blague fonctionne à plein sur la troisième pointe du triangle, le spectateur du film. Dans Funny people,
de telles conditions ne sont pas forcément réunies, que ce soit dans les nombreuses séquences de stand-up comedy ou dans la vraie vie des personnages. La comédie est un sport de combat,
chaque blague un angoissant numéro d’équilibriste sans filet au résultat brutalement binaire – le rire ou le bide. Comme un symbole de cette précarité, c’est George, le plus triomphant des
humoristes du film, qui se prend le plus violent des bides lorsqu’il tente une blague sur « les Juifs qui n’aimeraient pas être mis sur des listes, depuis la Seconde Guerre
Mondiale »
(à propos d’un site de rencontres réservé aux juifs) face à une jeune femme tout le contraire de réceptive. La célébrité et les succès passés ne vous allouent aucune
indulgence de la part du public, à part celle d’avoir le droit à une blague supplémentaire pour vous refaire de votre déconfiture. Les funny people ne sont donc fondamentalement ni
gentils, ni méchants ; ils vivent sous la pression constante d’une obligation de résultat, Apatow le premier. Et ça non plus, ce n’est pas drôle tous les jours.

Considéré mathématiquement comme un bide au box-office (50 millions de dollars de recettes pour un budget de 70), Funny people a pourtant rapporté une somme proprement inouïe pour
un long-métrage qui n’a donc rien de la comédie attendue, présente pendant plus d’une heure son omniprésent héros comme un mort en sursis n’inspirant aucune sympathie, renvoie dos à dos le couple
et le célibat comme des choix bourrés de défauts, et réalise un impressionnant travail de sape sur le dos de ses comédiens, priés d’incarner à l’écran des versions méprisables d’eux-mêmes où tout
est vu en noir une fois retiré le prisme flatteur de la célébrité. L’alter-ego d’Adam Sandler n’a joué que dans des films de merde (avec extraits à l’appui pour le prouver). Celui de Seth Rogen,
Ira, l’assistant-souffre-douleur de George, est un semi-comique complexé et veule qui peut toujours rêver de jouer un jour dans un film comme Pineapple express. Les figures de second plan ne sont
pas mieux traitées, qu’il s’agisse des colocataires d’Ira (Jonah Hill, gros et hargneux, et Jason Schwartzman, beau gosse et égocentrique) ou du mari de Laura (Eric Bana, beauf sans cervelle avec
un accent australien à couper au couteau). Sur ce point, ce qui est unique dans Funny people est qu’il n’est question ni d’une vraie-fausse raillerie à l’hollywoodienne dont les
victimes sont tout d’abord vaguement égratignées pour mieux sortir grandies de l’opération grâce à leurs qualités humaines ; ni d’une diatribe violente déclenchée par un ennemi avec
l’intention affichée de nuire. Tous ces gens mis à nu par Apatow sont des proches, des intimes même – amis d’enfance, acteurs qu’il a révélés, et même sa propre femme et leurs deux filles dans le
rôle de la famille que pourrait presque avoir le héros.Tout se passe comme si le cinéaste, à peine arrivé au sommet, cherchait à exorciser un hypothétique déclin en l’anticipant et en le figeant
sur pellicule.

Les deux forces à l’œuvre, l’agressivité du propos et le capital sympathie des acteurs qui le véhiculent, ne peuvent dès lors que se neutraliser et ainsi orienter le film sur une troisième voie,
médiane, d’observation sans jugement. Apatow marche dans les pas de la grande série TV du début des années 2000 The wire par cette velléité aussi téméraire qu’humaniste
(humaniste car les personnages sont pris et acceptés pour ce qu’ils sont ; pas pour ce qu’ils devraient être, et que le film s’échinerait à les faire devenir), et par les moyens dont il use
pour arriver à cette fin. La durée sur laquelle s’étend le récit (2h20) donne ainsi le temps aux héros de vivre plutôt que de simplement agir. Ça n’a peut-être l’air de rien sur
l’instant, mais au moment de tirer le rideau c’est précisément cette somme de petits riens, de moments non décisifs qui fait la richesse de l’œuvre. De plus, comme chaque saison de The
wire
, Funny people ne fait que simuler temporairement l’action de se parer d’une intrigue fil rouge, qui donnerait la satisfaction d’avoir suivi une évolution d’un point
A à un point B (à l’instar, par exemple, de la grossesse dans En
cloque, mode d’emploi
). Malgré les promesses initiales, il deviendra clair au final que les protagonistes n’ont pas vécu de péripéties changeant leur vie ou la perception
qu’ils en ont. Apatow les abandonne dans une situation quasi identique à celle dans laquelle il les avait trouvés : George n’est plus malade, son ex n’est pas revenue avec lui malgré les
lézardes dans son mariage, et Ira n’a pas percé et se trouve toujours coincé dans le même boulot alimentaire dans un centre commercial.

 

Mais alors, ce surplace fait-il de la déprime le seul avenir pour les comiques de Los Angeles, comme pour les flics et les truands des cités de Baltimore ? Non. Le dernier plan de
Funny people laisse vivoter une lueur d’espoir en forme de doute. C’est un long travelling arrière final, premier geste de cinéma d’un film à la mise en scène auparavant aussi
neutre que peut l’être celle d’Apatow (sans que cela pose problème : cette atonie colle bien à la quête du scénario de banalité du quotidien, et n’empêche pas de très pertinents effets de
montage pour maximiser l’impact des scènes), qui fait progressivement disparaître dans l’immensité du centre commercial George et Ira en train de se lancer des propositions de blagues de
stand-up. On peut ne voir là qu’un centre commercial qui absorberait deux individus finalement insignifiants – deux de plus. Ou bien, au contraire, considérer que le ping-pong comique
entre ces deux là anime d’une flamme imperceptible mais incontestable ce lieu symbole de toutes les médiocrités et aliénations de notre époque. Voir dans chaque mall un terrain où
peuvent potentiellement naître et s’épanouir, ne serait-ce qu’entre deux personnes parmi les centaines de visiteurs de l’endroit, des blagues qui font enfin rire à tous les coups comme c’est le
cas dans l’épilogue de Funny people (ainsi que des récits ; celui de Supergrave se conclut dans un mall, celui de 40 ans, toujours puceau y commence), voilà un acte cinématographique qui fait d’Apatow un humaniste de
taille.

 

Une réponse à “Funny people, de Judd Apatow (USA, 2009)”

  1. [...] lui sont familiers : aujourd’hui, à Los Angeles. Mais ce qui fonctionne à merveille pour un Judd Apatow a l’effet contraire sur le cinéma de Sofia Coppola, dépouillant Somewhere de ce mélange de [...]