• Adventureland, de Greg Mottola (USA, 2009)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 tout juste acheté

 

Quand ?

Samedi soir

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Adventureland est un film d’une discrétion et d’une délicatesse à toute épreuve, qui le rendent facile à manquer sans même y prendre garde – le distributeur pour la France a ainsi
« omis » de l’inclure à son programme de sorties en salles, et lui a fait rejoindre les rangs des déclassés réduits à l’indigence d’une édition directe en DVD. Mais ce destin n’est qu’à
moitié surprenant, car il est finalement assez cohérent de la manière avec laquelle l’auteur-réalisateur Greg Mottola s’est appliqué, sciemment ou non, à décalquer en mode mineur les ingrédients
du hit Supergrave de la bande à Apatow auquel il
s’était retrouvé associé en tant que metteur en scène. Même concept d’un récit de passage à l’âge adulte, au moment de la transition entre le lycée et la fac – mais sans le spectaculaire des
blagues vulgaires et de la concentration de l’intrigue sur une nuit ; même portrait d’un personnage central introverti et vierge flirtant maladroitement avec la fille idéale – mais sans le
petit génie de l’humour à contretemps Michael Cera pour l’incarner.

 

Les deux « mais sans… » qui précèdent ne sont pas des défauts. Il s’agit de choix légitimes et intéressants, qui ont simplement le malheur d’allouer au long-métrage qui en résulte un
potentiel commercial drastiquement réduit. C’est tant pis pour tous ceux qui n’auront pas la résolution d’aller fouiller les rayons DVD pour y dénicher cette pépite, mais Mottola ne doit pas pour
autant se voir critiqué pour avoir voulu, ainsi qu’il le dit dans le commentaire audio (par ailleurs intelligent et très drôle), « coller au rythme de la vie ». Car de ce qui
est un des quelques graals qui hantent les cinéastes depuis l’invention de leur art ou presque (aux côtés de « suivre une intrigue en temps réel », « filmer le sexe sans être
vulgaire », etc.), peu s’en sont approchés aussi près que lui avec cet Adventureland. Lequel film s’attache moins à suivre une dramaturgie explicite qu’à suivre au jour le
jour le quotidien de son groupe de personnages, dans les hauts et dans les bas. Mais quand on passe l’été à travailler dans un parc d’attractions un peu (beaucoup) naze, situé dans la banlieue un
peu (beaucoup) naze d’une ville un peu (beaucoup) naze telle que Pittsburgh, les bas sont un peu (beaucoup) plus nombreux que les hauts.

C’est ainsi que, dans Adventureland, il ne se passe souvent rien (la visite du parc le premier jour de travail du héros James, son agacement à subir tout au long de la journée le
même tube de l’été passé en boucle sur la sono, ses moments passés à zoner avec des collègues ou amis d’enfance), un rien entrecoupé ici et là de micro-événements : un acte de tricherie à un
stand de jeux pour gagner l’ingagnable panda géant en peluche, des rencards entre personnes du sexe opposé plus pour se prouver que l’on peut effectivement le faire – et pour passer le temps –
qu’autre chose. Il y a bien aussi une affaire d’adultère impliquant Mike, le beau gosse musicos vedette du coin (Ryan Reynolds, aussi bon dans ce rôle autocritique que son alter-ego féminin
plastiquement parfait Michelle Monaghan dans Gone baby
gone
), qui prétend avoir joué sur scène avec Lou Reed, et Em, ado rebelle et un peu plus profonde que la moyenne (Kristen Stewart, avant de devenir star interplanétaire avec
Twilight) dont James tombe lentement mais
sûrement amoureux. Mais l’un dans l’autre, rien de tout cela n’est de nature à changer fondamentalement l’existence de qui que ce soit. L’intelligence de Mottola est de ne chercher à aucun moment
à raconter les choses autrement. La seule opération d’embellissement de la réalité qu’il s’autorise se situe à la marge, dans l’introduction d’une ponctuation comique régulière offerte par le duo
du Saturday Night Live Bill Hader (vu un peu partout ces derniers temps : Sans Sarah rien ne va, Tropic thunder… mais jamais avec l’incroyable moustache qu’il arbore ici, et ça change tout) – Kristen
Wiig en gérants / animateurs du parc. Mais même cet humour, aussi hilarant soit-il, n’est pas sans arrière-pensée. Il est toujours à la limite des larmes, car il est la planche de salut de ces
personnages qui ont dépassé la trentaine et l’espoir de quitter cette vie sans surprises ni échappatoires. Tout comme le mensonge quant à son quart d’heure de gloire et les flirts avec des
gamines sont la planche de salut de Mike.

Mottola filme ces adultes piégés, et leurs jeunes successeurs déjà désignés (dont l’excellent Martin Starr, de Freaks and Geeks, qui a la plus belle scène du film avec son monologue où il expose sans aucune rancœur
tout ce qu’il y a à dire sur sa vie de « moche et pauvre »), sans jugement – ils ne sont ni des losers magnifiques, ni des pauvres types méprisables. Le regard de la caméra sur
eux est celui d’un proche, d’un ami compréhensif, dans une tradition très américaine qui remonte à l’humanisme irrésistible des films de Frank Capra. C’est véritablement une tranche de vie estivale que Mottola déroule devant nos yeux, et le fait
qu’Adventureland soit pour une bonne part autobiographique n’est certainement pas étranger à la sincérité qui se dégage de celle-ci. Le cinéaste pioche dans les codes
cinématographiques les plus classiques (protagonistes adolescents à la croisée des chemins, revival eighties, bande-originale à tomber…) pour en garnir la forme d’ingrédients savoureux,
mais il n’oublie jamais ce qui est au centre de son film et de ses intentions au moment de le réaliser. Ainsi, sous l’impression de flânerie tranquille dégagée par les anodines séquences
successives l’enjeu du récit n’est pourtant jamais perdu de vue. Précipité dans cette bulle léthargique par un pré-générique cauchemardesque enchaînant les mauvaises nouvelles à la vitesse du son
(pas de dépucelage avant la fin du lycée, pas de bourse pour la fac l’an prochain, pas de voyage en Europe…), James ne parviendra à en ressortir que de sa propre initiative.

Les gens qu’il y côtoie se sont en effet acclimatés à cet environnement depuis bien trop longtemps – ils y ont pris racine – pour pouvoir servir de tremplin à qui que ce soit désireux de suivre
un autre chemin, de rompre le sortilège. Après avoir été un modèle de douceur ouatée et nostalgique, Adventureland marche ainsi dans ses dix dernières minutes sur la corde raide
entre l’énergie positive que charrie l’émancipation de son héros et la face sombre d’un tel acte. Une rupture de ce style s’accompagne forcément d’un jugement implicite sur ceux qui restent, et
l’observation toute en humanité de cette séparation (nécessaire mais blessante, loyale mais condescendante) par Mottola porte son film très haut. Si haut que l’on en regrette la seule concession
du réalisateur aux poncifs hollywoodiens : que James rejoigne au final Em, l’objet de son désir. La scène est bien jouée et bien filmée (la difficulté à retirer un jean trempé par la pluie
au moment de faire l’amour est enfin exposée à sa juste importance) mais n’était pas vitale pour l’aboutissement du parcours du héros ; et sonne du coup comme une légère fausse note, celle
d’un happy-end quelque peu téléphoné.

 

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