• Tron Legacy, de Joseph Kosinski (USA, 2010)

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Où ?

A Austin, Texas, au cinéma Alamo Drafthouse qui a la particularité de servir à manger et à boire pendant les projections (le système est rodé, fonctionne très bien et cause à peine plus de gêne qu’une séance au milieu d’un public un peu agité)

Quand ?

Jeudi soir, il y a un mois (le film sort en France le 9 février)

Avec qui ?

L’ami qui nous hébergeait

Et alors ?

Tron premier du nom était un film tellement visionnaire (en 1982, année de la sortie du film, les concepts de réseau et de mondes virtuels recelés dans les entrailles des ordinateurs étaient encore bien abstraits – le roman référence de William Gibson sur le sujet, Neuromancien, n’allait pas sortir avant deux années de plus) qu’il n’a pu avoir pleinement accès à la technologie permettant de concrétiser en images les visions qui peuplent son récit. En conséquence, Tron a vieilli prématurément et n’est plus franchement découvrable par quelqu’un ne l’ayant jamais vu depuis une bonne dizaine d’années. La révolution des images de synthèse est passée par là ; ce sont donc ces mêmes ordinateurs dont le film anticipait la puissance exponentielle qui l’ont poussé à l’hospice. Mais ce sont aussi eux qui lui offrent une renaissance de premier ordre, avec ce Tron Legacy tout numérique – qui, dans trente ans, passera peut-être lui aussi pour démodé…

C’est évidemment un soulagement de voir que, malgré le logo Disney apposé bien en évidence (mais après tout le premier Tron était lui aussi une production Disney) et la sortie façon blockbuster mastodonte, Tron Legacy est largement à la hauteur de l’aura associée au nom dont il a hérité. Les dix premières minutes donnent bien quelques sueurs froides, avec un héros blanc-bec et tête-à-claques et des placements de produits aussi grossiers que dans les derniers James Bond. On respire déjà mieux devant la séquence de la visite d’une salle d’arcade désaffectée, qui solde astucieusement les comptes vis-à-vis du film originel et sert de sas, au propre comme au figuré, entre les mondes. Et dans l’instant où il se jette à l’eau et passe de l’autre côté de l’écran, le film trouve pour de bon son âme et sa vitesse de croisière. Notre première expérience de cette Grid (le petit nom de la réalité virtuelle de Tron) est débarrassée de tout engagement narratif ou explicatif, pour être exclusivement sensorielle : des images, des sons, et le soudain passage à la 3D – les scènes dans le monde réel sont à dessein en 2D – comme étincelle allumant le tout. Se servir ainsi de l’absence de 3D comme élément de la mise en scène est une idée aussi inattendue que bonne.

Une idée meilleure encore est de ne pas exiger du spectateur qu’il s’accommode de la technologie et de ses arcanes mais d’avoir humanisé celle-ci, dans le sens où ses mécanismes et motivations sont exprimés par le film en logique et en sentiments humains. Ce principe d’une traduction instantanée était déjà appliqué par Summer wars, et fonctionne tout aussi bien dans Tron Legacy. Il permet d’entrer sans attendre dans le vif du sujet, et ainsi nous faire ressentir de la manière la plus palpable qui soit cet univers imaginé. Il manque bien sûr le fait de pouvoir le toucher, mais les pulsations de la musique qui accompagne le film s’y substituent avec succès. Dans toute la première partie de l’aventure sur la Grid, quand les dialogues et les explications de contexte se font encore rares, l’association des boucles électroniques composées par Daft Punk et d’une esthétique visuelle radicale rapproche Tron Legacy du grand cinéma muet des années 1920. Celui qui, épique et mégalo, du Cuirassé Potemkine à Metropolis, parvenait par la seule puissance des images enregistrées par la caméra et des sons produits par les instruments de musique à enfanter un souffle emportant tout et tous sur son passage. Tron Legacy reproduit un effet similaire, par les ordinateurs – les images de synthèse, la musique techno – et pour les ordinateurs ; son contenu est alors en effet une succession d’épreuves virtuelles, revisitant les moments phares de Tron (le frisbee tueur, la course de motos…) et leur donnant une énergie ahurissante. Ce n’est pas exagéré que de dire que ces jeux du cirque digitaux nous assènent une formidable claque visuelle, par leur célérité mortelle et leur éclat obscur – toutes les scènes se déroulant sur la Grid sont inondées d’un noir absolu et hypnotisant, transpercé par des traits de lumière ardents en nombre juste suffisant pour assurer la lisibilité de l’action. Ce minimalisme situe Tron Legacy à l’opposé de l’habituelle propension des blockbusters dopés aux images de synthèse à en faire toujours plus (et souvent trop), et mérite bien l’adjectif de « radical » employé plus haut pour qualifier l’esthétique du film.

Par la suite, Tron Legacy rentre certes dans le rang, la faute à un scénario de blockbuster formaté et aussi générique qu’un médicament tombé dans le domaine public (mais sans les effets bénéfiques). Mais le fort consensus, auquel le spectateur ne peut qu’adhérer, qui se réalise alors entre tous les participants du projet pour réduire au minimum le poids de cette histoire compilant la plupart des poncifs de la science-fiction mainstream moderne assure le nécessaire. Les déchargements d’informations permettant de générer de nouveaux enjeux et de faire avancer le récit sont regroupés dans des scènes aussi condensées et parcimonieuses que possible. Autrement dit, de véritables scènes cinématiques de jeu vidéo que Daft Punk et les acteurs (en particulier Jeff Bridges, mais Martin Sheen est pas mal non plus dans son numéro pompé sur le personnage de Lambert Wilson dans Matrix reloaded) se chargent de rendre digestes. Chacun de ses interludes est un tremplin vers une nouvelle excitante scène d’action, où les plaisirs varient – arts martiaux, poursuite aérienne, etc. – sur l’assise immuable qu’est la saisissante beauté formelle du film, sans cesse réinventée jusqu’au climax. Entre autres splendeurs, les deux parties du trajet menant au portail se déroulent dans des décors tellement saisissants qu’elles n’ont plus rien de scènes de transition ; on est autant scotché que dans le feu de l’action. Il est réjouissant de voir un blockbuster de ce calibre ne pas jouer petit bras et aller au bout de ses idées, aussi spéciales soit-elles. Et il est tout aussi réjouissant de voir deux des trois rôles principaux tenus par une anti-star âgée de 61 ans, M. Jeff Bridges, qui retrouve son personnage du premier Tron et interprète en motion capture une version virtuelle et éternellement jeune de lui-même, Clu. Comme pour la 3D, la prouesse technique qui rend Clu tout à fait crédible se double d’un intérêt narratif : se servir de prises de vue réelles pour la version réelle d’un personnage et de création par ordinateur pour sa version informatique est on ne peut plus logique, et sert la pertinence du film.

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