• Master and commander, de Peter Weir (USA, 2003)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2

Quand ?

Lundi soir, il y a deux semaines

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

Réalisateur devenu prophète en son pays (l’Australie) et donc fort logiquement débauché par Hollywood dans la foulée, Peter Weir a eu au cours de sa carrière dans la Mecque du cinéma plus de films entravés que rehaussés par le système des stars et des budgets abondants. Son dernier en date, Les chemins de la liberté, qui vient tout juste de sortir semble d’après les divers échos en être à son tour une victime. De la longue assignation à résidence de Weir à Hollywood (bientôt trente ans maintenant), seuls deux titres sont pour l’instant à retenir : The Truman show, et ce Master and commander, adaptation piochée parmi la somme de romans composant la saga navale de Patrick O’Brian.

L’action prend place au début du 19è siècle, à bord d’une frégate anglaise en guerre contre les bateaux corsaires commandités par Napoléon pour détrousser les navires de commerce ennemis. Il y a un capitaine héroïque à bord, Jack Aubrey / Russell Crowe, mais le véritable personnage principal du film reste pour l’essentiel la frégate Surprise elle-même. Weir est captivé par la complexité de son fonctionnement et la variété de ses faces. De l’extérieur, c’est un corps quasi organique se courbant sous l’effet des éléments (la pluie, le vent). Monter à son bord donne le sentiment de pénétrer dans une ruche, et de se trouver soudain au milieu de dizaines d’hommes qui s’activent sur son pont et dans ses entrailles. Grâce à sa double casquette de réalisateur et scénariste, Weir fait reposer son film tout entier sur ce rêve de grand enfant de se prendre pour un membre d’équipage d’un tel navire, et d’en vivre le quotidien qui est à lui seul une aventure. La trame scénaristique de la course-poursuite avec le bateau français Acheron, et les scènes inévitablement spectaculaires de combats navals qu’elle engendre, semblent ainsi avoir été pensées plus dans le but d’impressionner le studio et leur soutirer un gros budget, que comme une source de motivation pour le cinéaste. L’Acheron s’avère en effet plus intéressant, pour nous comme pour Weir, quand il joue les vaisseaux fantômes surgissant de nulle part pour lancer une escarmouche, que lorsqu’il devient l’objet d’un abordage et d’une bataille au corps à corps assez triviaux. Ou alors, la motivation de Weir était là d’ordre secondaire ; celle de s’offrir encore plus de jouets (canons, mousquets, un second bateau) et d’avoir l’opportunité de les utiliser en conditions presque réelles.

L’acquisition de l’édition double DVD et le visionnage de son contenu sont chaudement recommandés tant ils captent, via l’envers de son décor, tout ce que le cinéma à grand spectacle a d’enchanteur et de prolifique quand il est fait avec sincérité et passion. Master and commander transforme Peter Weir en Peter Jackson (celui du Seigneur des Anneaux et de King Kong), et sous son impulsion on voit un bateau d’époque être racheté et maquillé pour le tournage ; un autre être construit à l’identique pour être utilisé en cale sèche ; des scènes être tournées en pleine mer, dans une ambiance de reconstitution quasi documentaire ; et la troupe d’acteurs se muer en un équipage enthousiaste, efficace, ordonné et répondant présent y compris les jours où ils sont cantonnés à l’arrière-plan de l’action. Signe de ce qui était important pour Weir et de ce qui l’était moins, les scènes coupées concernent uniquement des moments de vie de bord – deux d’entre elles sont même des montages aboutissant à des courts-métrages autonomes. Cette envie de simplement monter à bord et prendre la mer se retrouve heureusement dans le film, qui nous enrôle d’entrée pour être partie prenante de l’équipage, ses tâches, ses divertissements, ses transports, sa répartition spatiale au sein du bateau. Weir réussit la gageure de nous transférer l’intégralité de sa passion pour son sujet, et de la subjectivité de son point de vue. On est rarement à ce point embedded dans un film de fiction, particulièrement un qui se déroule à une autre époque.

Tout est filmé de manière si intense et instantanée que rien ni personne n’est en mesure de tirer la couverture à lui seul. Même le capitaine Russell Crowe est au service du navire, et non l’inverse. Master and commander ne déroge qu’une fois à cette règle, le temps d’une singulière escale aux îles Galápagos. Un personnage principal provisoire se détache alors : le médecin de bord par son métier, et botaniste par sa passion, Stephen Maturin (Paul Bettany). Cette parenthèse sur la terre ferme voit le film jeter par-dessus bord son script, ses intentions, et adopter sans réserve le point de vue de cet homme « des Lumières » (dixit Weir) qui arpente les îles du matin au soir afin de documenter l’opulente et alors inconnue faune locale. Dans une ambiance sereine, totalement improbable à ce point de récit d’un blockbuster à gros moyens, la quête du savoir prend le pas sur les pulsions belliqueuses, l’intellect sur les pratiques les plus rustres en vigueur au sein de l’équipage. Cela ne dure qu’un temps, le scénario faisant son retour par la fenêtre avec l’aide d’un deus ex machina invraisemblable et remettant la virilité triomphante de la guerre au premier plan. Mais jusqu’au bout, Weir n’en maintient pas moins une ambiguïté irrésolue – qui l’est peut-être également pour lui-même – quant au niveau d’estime qu’il éprouve vis-à-vis des représentants des deux camps, celui de l’érudition (Maturin) et celui de la force physique (Aubrey). Cette ambivalence rend le dénouement de Master and commander moins frustrant qu’intriguant.

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