• 316 fois Jeremy Bentham

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Un nouveau saut dans le temps d’une semaine dans ma chronique des épisodes de la saison 5 de Lost. Comme les autres épisodes pairs avant lui, le numéro 6 intitulé
« 316 » m’a semblé légèrement en-deçà – non pas tant à cause de ce qui s’y trouve que de ce qui y est omis. La réunion des Oceanic Six pour le grand voyage de retour est pleine
de bonnes inspirations, de bonnes scènes et d’un bon tempo ; mais les trous laissés volontairement dans le cheminement qui conduit Hurley, Kate et d’autres à monter à bord du vol 316 sont
forcément plus frustrants qu’excitants pour qui se souvient de tout ce
temps perdu
à faire faire du surplace à ces personnages depuis le début de la saison. L’épisode nous mène là où on espérait se retrouver, mais la manière aurait pu être moins
désinvolte.


Aucune réserve de ce genre ne vient par contre entacher l’épisode suivant, et dernier en date, le particulièrement attendu « The life and death of Jeremy Bentham ». Celui-ci et
316 sont aussi dissemblables que peuvent l’être deux épisodes de Lost. 316 est simple dans sa construction et clair dans ses objectifs, centré sur les
personnages « historiques » de la série et affranchi de toute considération de science-fiction trop sibylline. …Jeremy Bentham est tout le contraire, avec une ambiance
dépressive au possible, un récit constitué d’un enchaînement de déceptions, et les yeux rivés sur les fondements mythologiques du show. 316 est à l’image de Jack, évident et
orienté vers les spectateurs mainstream. Jeremy Bentham ressemble à John, tortueux et obsédé comme peuvent l’être les fans hardcore. Comme moi, quoi. Pas étonnant que
j’ai préféré le second au premier.

C’est une habitude de Lost dont on ne se lasse pas : chaque fois que l’on pense avoir une idée solide du synopsis d’un épisode (dans le cas présent, Locke en visiteur/recruteur
des Oceanic Six), celui-ci commence par nous prendre complètement à revers. Cela se fait ici en deux temps. D’abord avec une scène au présent (2008), sur la station Hydra adjacente à l’île,
écrite sur le principe un plan = une piste. L’avion d’Ajira Airways atterri presque proprement plutôt qu’éparpillé en morceaux au bord de la piste que Kate et Sawyer ont participé à construire
dans la saison 3, et l’on en vient en imaginer que cette arrivée était – au moins en partie – préméditée. Auparavant, une fouille dans un bureau de la station se transforme pour le spectateur en
chasse aux indices (pêle-mêle la poupée donnée par Annie à Ben, le crâne d’un animal, deux cartes de l’île déjà vues entre les mains de Rousseau et de Faraday) pour trouver à qui appartenait ce
bureau dans un passé plus ou moins récent (je tente : Charlotte ?). Pour couronner le tout, ces cinq premières minutes donnent suffisamment d’exposition aux deux nouveau personnages de Caesar et
Ilana, à peine arrivés et déjà remarquablement intégrés au climat de mystère et de suspicion qui règne dans la série.


Le deuxième coup de force de l’épisode est cette séquence incroyablement longue et franche avec Charles Widmore. Les réponses et révélations fusent comme rarement (jamais ?) auparavant, et pas
mal d’entre elles sont sûrement vraies. Le point de sortie de l’île situé en Tunisie (une information obtenue par Widmore grâce aux fouilles de Charlotte ?), le fait qu’il ait été leader des
Others pendant trente ans et ait été exilé par Ben par la ruse, l’importance de l’emploi du mot « peacefully » : Widmore aurait-il été écarté car il s’opposait à la purge menée
contre Dharma ? Dans tous les cas, on veut bien le croire lorsqu’il annonce que « there is a war coming »… tout en gardant à l’esprit que dans toutes les guerres, chaque camp
considère représenter le Bien contre le Mal incarné par l’adversaire. Et Ben et Widmore ne dérogent assurément pas à cette règle.

Passé ce premier quart d’heure époustouflant, la tournée de Locke auprès des Oceanic Six peut démarrer. Et il est là aussi question de plans contradictoires : toutes les tentatives de Locke sont
en effet vouées à l’échec, ses interlocuteurs ne voulant rien entendre de ses suppliques trop contents qu’ils sont d’avoir retrouvé leur petit confort personnel. C’est là que Jeremy
Bentham
prend un tour déceptif, ainsi que dépressif car Jack, Kate & cie ne se contentent pas de dire non à Locke, ils masquent leur égoïsme derrière une mauvaise foi profonde et des
attaques personnelles violentes qui mènent Locke au bord du suicide. Lequel n’est pas non plus exemplaire – son entrevue avec Walt n’est pas seulement superflue et elle aussi égoïste, elle semble
être l’élément déclencheur qui va remettre Walt sur la voie de l’île (cf. le premier épisode de la saison 4) alors qu’il semblait en être libéré pour de bon.


Cette partie de Jeremy Bentham atteint la quintessence du show,
en parvenant à mener de front deux niveaux de lecture. En surface, une brillante exploration psychologique des personnages et un suspense soutenu pour garder dans la boucle les spectateurs
mainstream. Plus en profondeur, un étourdissant récit à clés qui invoque un nombre faramineux d’épisodes passés, telle une clé de voûte dans une nef de cathédrale. Le 4-01 pour Walt et
Hurley, le 4-02 pour Abbadon, le 4-03 pour Sayid, le 4-04 pour Kate, le 4-10 pour Jack, plus ceux de la saison 3 déjà évoqués plus haut dans cet article. Au point où nous en sommes rendus avec
cet épisode, on peut considérer qu’un ou deux flashbacks sur Ben et sur Widmore seraient assez pour dévoiler la quasi-intégralité des étapes de la guerre entre les deux hommes, dont les naufragés
du vol Oceanic 815 sont des pions placés à leur insu en première ligne.

Benjamin Linus, parlons-en. Le dernier acte de l’épisode en fait un être plus impénétrable que jamais, possiblement le traître le plus infâme qui soit… ou l’exécutant le plus fidèle à sa cause,
ainsi que le plus désintéressé et prêt à tous les sacrifices. La première solution semble évidente au vu des faits bruts qui nous sont montrés dans Jeremy Bentham, mais là encore un
retour sur les épisodes précédents – ses larmes au moment de tourner la
roue
, sa crise de nerfs devant Sun et Jack un peu plus tôt dans la saison 5 – instille le doute et (me) donne envie de croire à sa sincérité, celle d’un homme dont le savoir et les
responsabilités sont devenus un fardeau énorme qu’il se doit de porter seul. Un point auquel Locke semble lui aussi rendu dans cette saison 5 : en toute fin d’épisode, c’est à son tour de
répondre par énigmes sibyllines aux questions de Caesar.

Un mot enfin sur la mise en scène de l’épisode. Il est rare dans une série TV que le réalisateur ait autant de possibilités d’expression que celles offertes ici à Jack Bender par le point de vue
subjectif du scénario, qui épouse entièrement celui de Locke, et par la charge émotionnelle qui en découle. Bender ne laisse pas passer cette chance et signe une succession de visions puissantes
qui culmine dans la scène du suicide, captée quasiment en temps réel avec une photographie crépusculaire grandiose et un découpage d’une implacable et déchirante sécheresse. On tient là l’une des
plus grandes scènes de Lost (aux côtés du fameux tournage de roue), et même de tout ‘univers des séries TV dans l’histoire récente.

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