• « Ces messieurs dames » (de Pietro Germi, Italie, 1966) et leurs bonus

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 édité par Carlotta en même temps que ceux de deux autres films de Germi : Il Ferroviere (1956) et Meurtre à l’italienne (1959), et
obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Ces messieurs dames (Signore e signori en V.O.), Palme d’Or du Festival de Cannes en 1966 étouffée par la notoriété de son co-lauréat – Un homme et une
femme
, Lelouch, chabadabada –, avait eu droit l’été dernier à une ressortie en salles en copie neuve. J’étais alors y jeter un œil, et mon œil en était revenu avec un avis tout à fait
positif :

 

Dans la comédie italienne des années 1950-1960, le film à sketches était une forme tellement employée que sa maîtrise par les scénaristes et les réalisateurs a atteint des sommets, permettant la
naissance d’ambitieuses variations sur ce thème. Hier, aujourd’hui et demain de Vittorio de Sica faisait ainsi interpréter ses trois saynètes par le même couple d’acteurs
(Marcello Mastroianni et Sophia Loren) ; le Ces messieurs dames dont il est question ici fait de ses trois intrigues des récits semi-indépendants, chacun plaçant au premier
plan plusieurs personnes parmi un même groupe d’amis présent tout au long du film. Il s’agit donc plutôt d’un « semi » film à sketches qui tire profit de cette forme pour ne pas avoir à
approfondir outre mesure ses protagonistes et les maintenir dans un état d’esquisses, étayées juste ce qu’il faut pour que la caricature soit efficace. Adoptant là encore un trait distinctif des
films italiens de cette époque, Ces messieurs dames développe en effet un humour corrosif à visée sociétale, avec pour cible les notables de province (chefs d’entreprise,
médecins, avocats…) qui règnent avec bonhomie et suffisance sur leur petit royaume.

Le regard que Germi porte sur eux en fait des figures méprisables mais également grotesques, risibles. Leur principale préoccupation n’est pas le pouvoir, mais plus prosaïquement le sexe – en
jouir tout le temps, en faire profiter les autres parfois (la dernière intrigue, la plus féroce, sur la jeune fille tout sauf farouche à propos de laquelle les amis se refilent le tuyau), se
moquer d’eux sinon (le premier sketch). Le portrait ainsi dressé de la supposée « bonne » société italienne est sans appel. Les hommes considèrent leur situation privilégiée comme un dû
auquel est attaché une impunité, mais aucun devoir. Leurs femmes sont soit des jolies potiches, soit des membres de la même caste qu’eux épousées dans des mariages de raison ; dans les deux
cas, elles sont à leur place pour les mêmes raisons que leurs maris, à savoir l’argent et le prestige.

La charge menée par Germi est saignante, impitoyable. Nul n’en sort indemne, à l’exception d’un seul : Osvaldo, dont le deuxième sketch raconte le coup de foudre pour une roturière caissière
dans un bar (la ravissante Virna Lisi), l’échappée belle qu’il croit être en mesure d’accomplir avec elle vis-à-vis de son milieu délétère et de son couple affreux, et l’échec in fine de
cette tentative d’évasion. Il y a un petit côté série B horrifique dans la narration de cette saynète, avec le motif du héros prisonnier qui fait tout son possible pour se libérer de ses chaînes
avant de prendre conscience, mais trop tard, que certaines d’entre elles étaient initialement invisibles. Mais il n’y a bien sûr dans Ces messieurs dames aucun élément surnaturel,
et les barrières qui ramènent Osvaldo à sa place dans le troupeau sont tout ce qu’il y a de plus terre à terre : elles se nomment dénonciation anonyme, dévoiement des lois (en l’occurrence
celle sur l’adultère), mainmise sur les journaux, corruption policière. Bienvenue en Italie.

L’emploi du terme « troupeau » n’est pas anodin. Germi filme son groupe de personnages comme tel, sans concéder à chacun une individualité qui serait de nature à les identifier
franchement. Ils se déplacent en permanence en bande, font toutes leurs activités ou presque en bande, et apparaissent par conséquent toujours dans le cadre comme une masse protéiforme et
envahissante, bruyante et gesticulante. Une absolue vision d’horreur, derrière laquelle se cache un véritable travail de cinéma (la caméra tourbillonnant jusqu’à épuisement dans la party
du premier chapitre, les boules quiès servant de refuge à Osvaldo…) qui place Ces messieurs dames bien au-dessus du tout-venant visuel ordinaire du genre comique.

 

 

Carlotta poursuit désormais son entreprise de remise au premier plan de l’œuvre de Pietro Germi, oublié au fil des années dans l’ombre des monstres sacrés du cinéma italien (Fellini, Antonioni, Visconti…), en sortant
le même jour trois de ses films en DVD. Ces messieurs dames est le plus connu des trois, et donc le plus richement accompagné. On trouve en supplément une intéressante préface,
qui revient sur la genèse du projet, la rupture qu’il constitue dans la carrière de Germi, l’absence de stars au générique et sur l’hallucinante bronca cannoise lors de la cérémonie de remise des
prix ; et un documentaire-portrait de Germi, Le bon, le beau, le méchant, réalisé dans le cadre de l’hommage rendu au cinéaste au cours du dernier Festival de Cannes (avec
projection de la copie neuve de Ces messieurs dames). Long – une heure – et exhaustif – les vingt-cinq ans de la carrière de Germi sont passés en revue –, ce film pèche par son
caractère élogieux poussé jusqu’à la caricature.

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C’est sans aucun recul que nous sont assénés des paquets entiers de témoignages étayant la gentillesse, le talent, l’intégrité, et toutes autres qualités attribuées d’office aux défunts que l’on
honore. Les interventions plus intéressantes (parce qu’elles nous éclairent sur le cinéaste, pas parce qu’elles cherchent la polémique) se retrouvent alors noyées dans ce bruit blanc. Ce qui est
bien regrettable, car ces contributions composent une image accomplie. Celle d’un artiste introverti mais sûr de son fait, passionné par l’histoire passée – l’héritage de Ford, Eisenstein – et
présente – les âges successifs du cinéma italien – de son art. On découvre également des interviews télévisées d’époque (trop parcimonieuses cependant) de Germi, qui affiche beaucoup de
clairvoyance et de sagacité dans ses réponses. Et surtout, on comprend comment il a atteint l’apogée de sa carrière lorsqu’il a eu l’idée d’infiltrer le genre a priori superficiel et désintéressé
qu’était la comédie satirique avec ses thèmes de prédilection et sa voix personnelle.

 

Signalons enfin que la qualité technique (image et son) du DVD est irréprochable, faisant oublier l’âge du film.

 

Signore y sinori

Un film de Pietro Germi avec Virna Lisi et Gastone Moschin

Distribution : Carlotta Films

http://www.carlottafilms.com

Date de sortie : 23/02/2010

http://www.cinetrafic.fr/film/4102/ces-messieurs-dames

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