• Vous ne l’emporterez pas avec vous, de Frank Capra (USA, 1938)

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takeit-2Où ?

A la cinémathèque (dans une copie en assez mauvais état)

Quand ?

Dimanche après-midi

Avec qui ?

Mon compère de cinémathèque

Et alors ?

 

La seule chose de triste à propos de Vous ne l’emporterez pas avec vous est qu’il restera d’actualité, et même nécessaire, aussi longtemps qu’il y aura des tristes sires
obnubilés indéfiniment par l’argent pour l’argent et le profit pour le profit. Le film de Frank Capra est un antidote sans égal à leurs pulsions et agissements, et sa formule repose exclusivement
sur l’utilisation de rires et de bonne humeur délirante (avec risques élevés de contagion), sans autre additif d’aucune sorte. La durée du long-métrage – un peu plus de deux heures –,
inhabituelle pour une comédie, s’explique par la volonté inaltérable de donner tout le développement qu’elle mérite à chaque part de l’intrigue, l’humour et la morale. Est-ce dès lors vraiment
une surprise si l’un et l’autre, une fois tous les quiproquos légers et tous les drames sérieux posés, développés et résolus, convainquent aussi pleinement ?

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Ce désir d’équité s’applique aux différentes tonalités du film, mais aussi à ses personnages. Il se renomme alors humanisme ; celui d’un Capra qui offre les mêmes chances, la même présence à
toutes ses « créatures » quels que soient leur caractère et leur condition. Il donne l’exemple en les traitant comme il attend d’eux qu’ils se traitent mutuellement dans le cadre du
scénario. Tout ce qui prend place dans Vous ne l’emporterez pas avec vous tend vers un unique objectif, atteindre cette harmonie, cette douceur de vivre ensemble
représentée par le dîner final qui réunit autour d’une même grande table tous les personnages. Bien sûr, au départ tout les oppose. Les Vanderhof sont de joyeux drilles épicuriens et
intentionnellement marginaux, donnant libre cours à leurs passions en tous genres (des spectacles vivants comme le théâtre et la danse à la confection de feux d’artifice), sans tenir compte du
niveau atteint – souvent très faible. En face, Anthony Kirby règne sur un monde qui prône tout le contraire, et en particulier une obligation de résultats (atteindre ses objectifs pour faire les
profits escomptés) plutôt que de moyens (se faire plaisir). C’est le PNB contre le BNB (bonheur national brut).

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Le prétexte à la rencontre des deux familles tient dans le besoin qu’a Kirby d’acheter la maison des Vanderhof afin de posséder tout le quartier et de conclure ainsi une énième opération
économique fructueuse. Mais le script du film est à ce point riche en trouvailles annexes et ouvert aux quatre vents qu’après son introduction dans les premières minutes, cette affaire de
transaction immobilière ne refait surface qu’une heure et quart plus tard. Pas mal de divagations ont éclos entre temps, certaines tout à fait spontanées (l’excentrique professeur de danse émigré
d’URSS, le créateur de farces et attrapes adopté par les Vanderhof, la descente d’agents fédéraux croyant à un risque de subversion communiste…) et d’autres entraînées par la grande idée de
l’histoire : tendre un second fil entre les deux familles, à l’insu de celles-ci – mais pas du spectateur –, avec l’histoire d’amour entre l’héritier rêveur des Kirby (James Stewart) et sa
jolie secrétaire, petite-fille de Martin Vanderhof (Jean Arthur). Cette romance bienheureuse se met inévitablement en travers de la négociation conflictuelle ouverte par ailleurs, et les
interférences qu’elle produit sont à double détente.

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D’abord, des étincelles crépitant dans tous les sens et déclenchant des départs de feux difficilement contrôlables. Le plus explosif est le dîner de rencontre formelle des deux familles, qui part
d’une double mauvaise inspiration (d’elle, pour avoir voulu ce dîner ; de lui, pour avoir cru être malin en amenant ses parents sans prévenir pour leur faire rencontrer les Vanderhof sous
leur vrai jour) et se développe à partir de là en échappant à toute maîtrise jusqu’à envoyer tout ce monde en cellule. En état de grâce comique, Vous ne l’emporterez pas avec
vous
ne s’arrête pas là et rebondit sur ce nouveau contexte pour créer à partir de rien ou presque une nouvelle séquence hilarante – le procès en comparution immédiate simultanée
des deux familles, avec juge badin et public électrique à la clé. Quasiment inutile pour ce qui est de la progression de l’intrigue principale, ce long aparté sait se rendre indispensable pour
nos zygomatiques.

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Lorsqu’arrive ensuite le dernier acte, l’intrusion de l’histoire d’amour impacte de façon autrement plus pénétrante et active les dispositions des personnages. Sous son impulsion, des choses qui
n’étaient que simplement utiles au comique quelques minutes plus tôt (un harmonica, une proposition d’achat) se présentent une nouvelle fois devant nos yeux, mais avec une toute autre allure. Et
l’incroyable se produit : l’acariâtre Anthony Kirby se range aux arguments et à la joie simple de vivre défendus par sa future belle-fille et la famille de celle-ci. Plus incroyable
encore : on y croit, sans aucune retenue. Bravo et merci, M. Capra.

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