• Tucker et Dale fightent le mal, d’Eli Craig (Canada-USA, 2010)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans une salle plutôt grande et remplie

Quand ?

Mercredi soir, à 19h

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

Se pencher sur le parcours de ce Tucker et Dale fightent le mal jusqu’à son arrivée dans les salles françaises, c’est se risquer à se perdre dans un indémêlable dédale de revirements de fortune. Le film a commencé à sillonner les festivals il y a deux ans presque jours pour jour (Sundance le 22 janvier 2010 est-il écrit sur la fiche IMDb), puis a parcouru le monde de cette façon avant de s’échouer aux USA sur les réseaux de VoD l’été dernier, probablement faute d’un distributeur pour une sortie en salles. Quelques semaines plus tard il passe assez discrètement à l’Étrange Festival, pour ce qui constitue sa première française. On peut supposer que c’est à cette occasion que les gens de chez Wild Bunch ont eu le coup de foudre les poussant à oser cette sortie ciné dont nous profitons aujourd’hui ; et à la mener avec panache (cent trente copies en France dont dix à Paris), car un film avec ce pedigree – un slasher sans stars, et sans succès préalable outre-Atlantique – se voit ordinairement cantonné aux salles spécialisées que sont le Publicis cinémas et l’Orient-Express. Brisant toutes les règles du marketing cinématographique, Tucker et Dale fightent le mal ravit ainsi les spectateurs du plus fréquentés des cinémas de France, le ciné-cité des Halles, et de nombreux autres trois ans après son tournage, et alors que ses têtes d’affiche Tyler Labine, Alan Tudyk et Katrina Bowden ont repris le cours de leurs carrières anonymes, enchaînant les tournages au cinéma et à la télévision (une dizaine chacun).

Du protocole qui régit l’arrivée en France de tout film d’horreur américain de série B, Tucker et Dale fightent le mal a tout de même gardé l’obligation de se voir attribuer un titre préjudiciable, traduction bizarre de son nom original Tucker & Dale vs. Evil. Tucker et Dale sont deux hillbillies, des péquenauds du nord de l’Amérique (ceux du sud sont les rednecks). Ils sont un peu gauches, pas toujours très futés, mais ont bon fond et ne veulent de mal à personne. Ils vont passer des vacances dans une maison délabrée et perdue au fond des bois dans les Appalaches qu’ils viennent d’acheter pour la retaper. Au même moment vient au même endroit une bande d’étudiants riches et beaux, de ces college kids des grandes villes qui sont habituellement, naturellement, les victimes expiatoires et pures dans ce type de contexte. Ici, non. Tucker & Dale repose sur un renversement complet des rôles, avec comme technique pour le mettre en œuvre l’adjonction à chaque situation archétypale du genre d’un contrechamp venant redéfinir qui est innocent et qui est malintentionné. Un seul exemple, pour ne pas trop gâcher la découverte de l’inspiration abondante du film : un homme défiguré qui court à travers les bois tronçonneuse allumée à la main et en hurlant peut tout simplement avoir eu la mauvaise surprise de scier un tronc d’arbre dans lequel était caché un nid d’abeilles.

Les hillbillies sont les gentils, héritiers des grands maladroits à la Buster Keaton ou Gaston Lagaffe. Et les college kids sont les méchants, aveuglés par leurs préjugés à l’encontre des premiers, leur complexe de supériorité, leur paranoïa enragée qui les pousse à répondre par le mal à… rien du tout. C’est plus ou moins l’unique idée du film, mais elle est suffisamment géniale pour hisser celui-ci vers les sommets accessibles à une série B. Ce concept du contrechamp est une mine d’or burlesque – la scène de la tronçonneuse n’est qu’une parmi beaucoup d’autres, toutes diablement efficaces grâce au sens du tempo comique et de l’excès que démontre le réalisateur novice Eli Craig. C’est aussi une assise sociologique solide et incisive, qui révèle avec une crudité et une cruauté inhabituelles – et saines – le racisme anti-pauvres qui habite les riches. La motivation derrière les agissements ahuris et sauvages des college kids est aussi élémentaire que ça : ils ont peur de ceux qu’ils ne connaissent pas, leur style de vie, leur attitude, leur altérité. La démesure des proportions prises par les conséquences de ce rejet haineux dans Tucker & Dale est assez stupéfiante. Craig pousse la chasse à la bêtise humaine un cran plus loin encore qu’un autre Eli (Roth) avec un autre premier film, Cabin fever, et on ne peut que l’en féliciter. Sa charge est jubilatoire, animée par un souffle parfaitement insolent en même temps qu’elle remplit pleinement sa fonction de générateur d’éclats de rire et de gore. Certes, le film patine un peu dans son dernier tiers, et s’égare dans une séquence finale superflue. Mais ce ne sont là que des détails, jusqu’au bout les fondamentaux restent bons. Rien ne vient empêcher Tucker & Dale d’être l’excellente surprise de ce début d’année, et rien ne doit venir vous empêcher de vous ruer dans les nombreuses salles qui le passent.

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