• Furie (The Fury), de Brian De Palma (USA, 1978)

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Où ?

À la Cinémathèque

Quand ?

Samedi, à 14h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

[warning : spoilers inside]

Dans la foulée de Carrie, qui fit décoller sa carrière et plus encore celle de Stephen King, et avant de revenir à des projets plus personnels (Pulsions, Blow out), De Palma accepta une deuxième commande de film d’horreur tiré d’un roman fraîchement paru : The Fury. L’histoire de ce dernier est autrement moins valide et consistante que celle de Carrie, mais le cinéaste s’en accommode – et s’en amuse, même. The Fury est un patchwork écartelé entre ses différents protagonistes, qui suivent chacun leur histoire propre, s’inscrivant dans des genres hétérogènes et obéissant à des motivations contradictoires. L’amalgame est sans queue ni tête, chose dont De Palma n’a cure. Il filme volontiers, sans faire d’histoires ou afficher une mauvaise volonté explicite, tout ce qui se rattache à la trame de thriller relative au personnage de Peter Sandza, joué par Kirk Douglas. Cette partie de l’histoire louvoie pourtant entre le ridicule consommé de ses incidents (l’attaque inaugurale du commando arabe, la poursuite en voiture quasi vaudevillesque dans les rues de Chicago) et l’intérêt défaillant de ses enjeux. Peter a pour seul but de retrouver son fils Robin, enlevé par une agence gouvernementale ultrasecrète dirigée par Ben Childress (John Cassavetes) afin de cultiver et exploiter ses pouvoirs psychiques. En sa compagnie, on baigne en pleine série B de traque et de vengeance, à la tête dure mais qui sonne creux.

Plus le film avance et plus Peter apparaît comme étant à côté de la plaque, aveugle à ce qui se joue véritablement. De Palma accepte de faire un bout de chemin en sa compagnie, mais sans pour autant lier son destin au sien. Il l’escamote du récit pendant les épisodes consacrés aux autres personnages, des écarts qu’il n’a aucun scrupule à faire durer sans nous donner de nouvelles. Toujours prêt à le lâcher à la première occasion, il finira sans surprise (mais avec un sens du panache et de la provocation splendide) par se débarrasser une fois pour toutes de lui d’une manière expéditive, sans une larme, une pensée ni même un dernier regard. La seule chose qui emporte les faveurs de De Palma dans The Fury est le principe des capacités paranormales de Robin, que possède également Gillian (Amy Irving), la co-héroïne du film. Le traitement qui en est fait relève là encore du roman de gare et donc, à l’écran, du cinéma bis – aucune discrimination n’est opérée, les élus ont droit au package complet avec télépathie, télékinésie, connexion psychique ou encore destruction d’objets à distance. Peu importe ; ce qui compte est que cette somme de dons surnaturels met à mal tous les cadres qui l’entourent, celui de la société comme celui du film. L’énergie disponible est trop excessive, chaque accès de panique ou de fureur provoque une embardée qui rend un peu plus inéluctable la sortie de route fatale.

Pour appréhender la logique déviante de The Fury, il faut comprendre que De Palma cale la dérive de son film sur celle du groupe d’individus qu’il observe. Ceux-ci sont incapables de répliquer à l’irruption du paranormal, et de le contenir ; il en est de même du long-métrage, vrille démente qui fonce en accélérant vers son autodestruction. Les scènes de genre fantastique, qui virent progressivement à l’horreur pure et sauvage, surviennent sans être annoncées, au point de nous laisser parfois pendant plusieurs minutes impuissants à déchiffrer ce qui se passe devant nos yeux. Ces brusques trouées dans la matière du film rendent The Fury tout à fait à sa place dans l’œuvre insensée dressée par De Palma au cours des années 70. Chacune de ses réalisations de cette époque visait à expérimenter les limites de la narration classique, raisonnée, en la soumettant à des interruptions extrêmes – meurtres, coups de folie, déclenchements de pouvoirs surnaturels. The Fury ne fait pas exception sur ce point, et suit tout aussi fidèlement l’autre fil directeur d’alors du cinéaste : laisser libre cours à l’ivresse de la virtuosité, pousser le génie formel jusqu’à la démesure. Les séquences paranormales deviennent des morceaux de bravoure d’une force inouïe, délivrée par une mise en scène grandiose, aux effets immodérés dont l’étirement dans la durée suspend le temps, rien de moins. Tout s’arrête alors, dévoré par l’emportement combiné du surnaturel et du cinéma. Et quand le film s’achève, ce n’est pas sur des critères scénaristiques (aboutissement de l’intrigue, acheminement des personnages à bon port) mais sur une ultime éruption de cette double énergie, encore plus forte, cette fois trop forte.

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