• Être là, de Régis Sauber (France, 2012)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Lundi soir, à 20h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Le documentaire Être là est une expérience limite, qui se heurte à l’impossibilité de filmer la réalité de la prison tout en cherchant une voie détournée pour nous la faire ressentir. Le réalisateur Régis Sauber a passé trois semaines en compagnie des psychiatres du SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) intégré à la prison des Baumettes, à Marseille. Un lieu puissamment cinégénique, comme on s’en rend compte dès lors que l’on a assimilé sa géographie – au rez-de-chaussée, la « zone libre » composée des bureaux de consultation et salles d’activité ; à l’étage, la « zone carcérale » où l’on trouve les cellules hébergeant les détenus pour lesquels un suivi psychiatrique proche de l’internement a été jugé nécessaire. Il n’y a pas de plafond séparant les deux zones, qui sont ainsi liées par le son à défaut de l’être par la vue. Tout le film est scandé par les cris d’appel des malades mentaux et les réponses, toujours sur le même ton et avec la même formule (« Qui appelle ? »), du personnel soignant. Qui s’échine, par ce biais comme par d’autres, à affirmer du matin au soir sa différence vis-à-vis des agents pénitentiaires, qui ne sont là que pour surveiller et punir des prisonniers quand docteurs et infirmières aspirent à soigner des êtres humains.

La prison, Être là nous y précipite pendant une heure et demie, sans échappatoire, et pourtant il est bien évident que ce qu’il nous donne à percevoir de ce monde en dehors du monde reste très soft par rapport à la vérité. En premier lieu parce que Sauber ne peut pas filmer les détenus, ni par conséquent leurs actes – les tentatives de suicide, par exemple. De celles-ci nous ne recevons que l’écho, de même qu’en ce qui concerne les infamantes conditions matérielles de vie. Sauber nous montre une fois un cafard, ne cache rien de la décrépitude des murs, nous fait entendre les mots terribles d’une des médecins concernant les rats, la puanteur, l’exiguïté des lieux. C’est tout ce qu’il peut faire (plus serait trop, car forcément répétitif), c’est à la fois beaucoup – en l’état le film provoque déjà un puissant malaise – et évidemment bien peu. On n’éprouve pas les odeurs, on ne fait qu’effleurer le gouffre des traumatismes de certains patients suicidaires ou schizophrènes ; on ne subit pas l’inscription dans la durée des bruits, et du peu d’espace disponible. Tout cela, on ne le sait que trop bien devant Être là, et Sauber le sait lui aussi, d’où son recours à des moyens peu orthodoxes pour outrepasser cette barrière et faire en sorte que nous aussi, nous soyons là.

Sauber ose le style, chose ordinairement proscrite dans le milieu du documentaire. Il s’en sert comme d’un véhicule pour porter son message, chaque effet se voulant voyant tout en étant justifié. Image en noir et blanc, cadrages étouffants, montage nerveux, bande-son unifiant sa part musicale et ses bruitages dans un même flot strident et incessant : tout est fait pour nous atteindre, nous extraire de force de notre zone de confort. C’est un pis-aller, imparfait et parfois discutable, mais qui atteint dans l’ensemble son but. En montrant la prison sous son jour foncièrement inhumain, il rend prégnante la difficulté de préserver un lien humain dans un tel lieu. La question est au cœur du travail du SMPR, et la réponse donnée en filigrane du film douloureuse. Ce combat, il faut le mener non pas pour le gagner (c’est impossible), mais pour ne pas perdre encore plus d’humanité. Celle de la société dans son ensemble, qui s’effrite si aisément et sans faire de bruit (en séparant les bons et les méchants, et en laissant pourrir ces derniers à l’écart). Celle de chaque détenu en particulier, qui ne tient déjà plus qu’à un fil (ayant souvent eu à pâtir, hors de la prison ou en son sein, d’abus et/ou de lacunes les meurtrissant).

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