• Argo, de Ben Affleck (USA, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Jeudi soir, à 22h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

La campagne d’affichage d’Argo présentait un argument inédit : vendre le film comme étant tiré « d’une histoire vraie déclassifiée ». Vu comme cela se bouscule de plus en plus au rayon des fictions s’inspirant textuellement de la réalité, il n’est pas étonnant d’assister à ce genre de surenchère pour se détacher du lot. Malheureusement, cette innovation est bien la seule à mettre au crédit d’Argo qui, sur tous les autres plans, n’est rien de plus qu’une remise à jour très disciplinée du genre du film de propagande à l’hollywoodienne. La formule en est immuable, transmise de génération en génération et réactivée à chaque période de conflit. Elle est si bien rodée et pensée que le remplacement de l’ennemi d’hier par celui d’aujourd’hui se fait sans la moindre difficulté. Après les nazis, les japonais, les communistes, en ce moment ce sont les musulmans barbus qui n’ont pas la cote, avec en première ligne l’Iran. Atout des iraniens pour être promus méchants d’un film hollywoodien : la prise en otage d’une cinquantaine d’employés de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979, en pleine révolution islamique commandée par l’ayatollah Khomeiny. Problème : cette affaire n’est pas des plus flatteuses pour les USA, dont les ressortissants ont été détenus pendant plus d’un an, avec une tentative de sauvetage qui a tourné au désastre avec la mort de huit soldats. Solution au problème : passer sous silence ces « complications » et se focaliser sur une partie annexe de l’affaire, qui s’est soldée par un succès. C’est l’opération Argo qui donne son titre au film, et qui a consisté en l’exfiltration de six employés qui avaient fui juste à temps et s’étaient réfugiés chez l’ambassadeur du Canada. L’histoire a ceci de parfait qu’elle permet de passer la brosse à reluire non seulement à la CIA, mais aussi à Hollywood qui a joué un rôle de taille dans ce morceau de bravoure patriotique – la couverture de l’opération Argo était le repérage de décors en vu du tournage d’un film de S-F, film factice mais disposant d’un scénario, d’un producteur et d’une campagne marketing bien réels.

Sur ces bases, Argo déroule mécaniquement son programme d’œuvre de propagande, suivi au pied de la lettre afin de ne rater aucune des cases à cocher dans le formulaire. On peut confirmer qu’il n’en a pas oubliée : sont bien présents le manichéisme rigide (un héros solitaire et exemplaire faisant face à une masse de méchants indéfinis), les sentiments sommairement sirupeux, l’humour qui fonctionne exclusivement sur le mode de la connivence avec le public, le choix d’une psychologie zéro. Les protagonistes sont vides d’enjeux, d’histoires, de personnalités, réduits à une fonction, et au sentiment unique associé. Un nom plus un adjectif : le Héros (courageux), les Otages (paniqués), les Méchants (menaçants), les Chefs (encombrants), les Assistants (distrayants). Au passage, cette orientation prise par Ben Affleck revient à tourner le dos à la qualité première de son cinéma jusqu’à maintenant : tant Gone baby gone que The town brillaient avant tout par leurs galeries de personnages complexes et attachants, hors des normes des studios. Argo est pour sa part impersonnel et factuel. Ce n’est pas nécessairement un mal en soi, mais cela le devient quand les faits sont exposés sans suspense (ou alors un suspense en carton) et que leur sélection malhabile forme un récit lesté d’une immense inertie. Il faut une heure avant d’arriver enfin dans le vif du sujet, durée bien trop longue dont Affleck paraît être conscient puisque tout au long de cette première moitié, il cherche à maintenir une tension maladroite en remettant à l’écran toutes les cinq minutes les méchants barbus pour nous rappeler qu’ils sont là et qu’ils sont méchants. Mais même une fois l’opération Argo placée sur ses rails, le film Argo ne devient jamais alerte, sans même parler d’aérien. Car on n’y trouve toujours pas de cinéma (d’ailleurs la mise en scène est tout ce qu’il y a de plus scolaire), ni de verve. Le premier est suppléé par une reconstitution carrée, comme on en fait sur les scènes de crime. La seconde est évincée au profit de la lettre de mission édifiante du film : la grandeur de l’Amérique, et des hommes qui la font et la préservent.

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