• Yojimbo / Pour une poignée de dollars / Il était une fois dans l’Ouest (Kurosawa / Leone / Leone – 1961 / 1963 / 1968)

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yojimbo-2Où ?

A la Cinémathèque pour le premier (dans le cadre de la rétrospective Kurosawa), à la maison en VHS en VF pour le deuxième et au Grand Action, en copie neuve en VO pour le troisième

Quand ?

Fin juillet, sur une semaine

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Yojimbo est une récréation de maître. Kurosawa met tous ses talents plastiques et narratifs au service d’un récit d’aventures d’une grande simplicité, qu’il est possible
de résumer en quelques mots : au Moyen-Âge, un samouraï errant et sans nom arrive dans un village dévasté par la rivalité pour le pouvoir et l’argent entre deux clans. Le héros va offrir ses
services comme garde du corps (la traduction du titre original) successivement à l’une et à l’autre famille, avec toujours comme but réel d’aboutir à la perte des deux et à la renaissance du
village. La conduite scénaristique du film est limpide, dénuée de tout double fond mais maîtrisée de part en part. L’avalanche de mystifications et de ruses élaborées par le héros, dont certaines
se retournent contre lui, ne souffre aucun temps mort. Elle s’enrichit au contraire en permanence de nouveaux personnages et enjeux secondaires, dont l’artificialité de l’apparition ne gêne pas
le moins du monde dans un tel cadre de divertissement. Plus encore qu’au western, genre auquel Yojimbo se trouvera rattaché par son remake Pour une poignée
de dollars
, cette surenchère de dangers et de cadavres évoque la logique du roman noir – en particulier Moisson rouge, de Dashiell Hammett.

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Yojimbo est donc pulp, qualificatif que l’on donnait aux romans noirs des années 1930-1940 ; il est aussi pop un peu avant l’heure, par le biais
de la musique emballante et décalée signée Masaru Sato qui accompagne l’action quasiment sans interruption. Rarement la bande-originale a trouvé une telle place de choix dans un film de
Kurosawa : elle sert ici quasiment de co-mise en scène, tout comme celle d’Ennio Morricone dans la version de Sergio Leone. Le grand Kurosawa s’encanaille le temps de ce projet et de sa
séquelle Sanjuro, tournée dans la foulée, entre deux œuvres réalistes et contemporaines beaucoup plus rudes : Les salauds dorment en
paix
et Entre le ciel et l’enfer. Mais il ne délaisse pas pour autant sa désillusion aiguë à l’égard des élites et de leur immoralité, qui est à
l’origine de tous les malheurs dans Yojimbo comme dans ses autres films de cette période. De même, sa maîtrise de la mise en scène est tout aussi prégnante ici
qu’ailleurs, renforçant l’adage (formulé par l’auteur de ce blog) qui veut qu’il y a toujours une leçon de cinéma à prendre dans un long-métrage de Kurosawa. Dans
Yojimbo c’est la scène d’exposition de la situation dramatique du village, depuis la taverne située au cœur de la rue principale. Chacune de ses fenêtres donne ainsi sur
un lieu-clé, et un unique mouvement panoramique de la caméra passant d’une fenêtre à l’autre suffit à tout couvrir. Leone ne fera pas mieux pour la séquence correspondante dans Pour
une poignée de dollars

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…Mais le film du cinéaste italien a de nombreux autres atouts à faire valoir. D’un côté, il prolonge le caractère ludique de Yojimbo en un geste pop encore plus
affirmé : générique animé, réalisation sous un pseudonyme (Bob Rafelson), protagonistes encore plus archétypaux voire grotesques – pour les méchants – que chez Kurosawa, et péripéties à
l’avenant. Dans la dernière partie du film, lorsqu’interviennent le tonneau géant pour écraser les gardes et la plaque métallique pare-balles, on n’est plus du tout dans un monde même vaguement
réaliste mais bien dans une aventure de super-héros.

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Sur un autre versant, Leone distille derrière la distraction de façade une souffrance adulte, amère – un arrière-goût qui prendra dans ses films de plus en plus d’importance à mesure que les
années passent. Leone remplace l’inspecteur seulement chassé par un subterfuge de Yojimbo par une troupe de soldats abattue de sang-froid dans une embuscade. Il rend le
sourire au coin des lèvres de son héros plus cynique que franc, en dotant ce dernier d’un passé que l’on peut imaginer douloureux (sa remarque sur le fait qu’il « n’aimait pas être chez
lui »
). Pour une poignée de dollars détone également par le respect dont il fait preuve vis-à-vis de l’intégrité du personnage féminin. Celle-ci n’est pas
juste un trophée romantique/sexuel pour le héros, elle a sa vie et ses drames propres – chose qui était déjà le cas dans Yojimbo, mais qui se remarque d’autant plus
une fois l’histoire ramenée dans un univers de western, où un tel traitement du deuxième sexe était alors rarissime.

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Leone cèdera à son tour à la tentation de la récréation, d’un certain relâchement, avec Il était une fois dans l’Ouest. Ce film achève le mouvement d’inflation des
durées des westerns spaghetti du cinéaste (Pour une poignée de dollars : 1h30, Et pour quelques dollars de plus : 2h10,
Le bon, la brute et le truand : 2h30, et 2h50 pour celui-ci) alors que son intrigue n’est pas beaucoup plus complexe ou étendue que celle de Pour une
poignée de dollars
. Des espaces de futilité et de redondance pénètrent donc le scénario du film. Sa mise en scène, par contre, est toujours aussi renversante. La combinaison des
découpages de Leone, de son don pour caster des gueules parfaites (le mystère de Charles Bronson, la violence froide d’Henry Fonda dans un total contre-emploi, la gouaille de Jason Robards, la
beauté sublime de Claudia Cardinale), et de la musique de Morricone, donne naissance à des moments de cinéma sans égal dans l’intensité et dans l’exaltation provoquée chez le spectateur. Peu
importe les moments de creux du récit, quand ses temps forts – le prologue, l’arrivée de Claudia Cardinale à la ferme, la mission commando de Jason Robards dans le train, le flashback de Charles
Bronson… – nous galvanisent à ce point.

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Il était une fois dans l’Ouest est aussi un très bon film car, acculé d’une certaine manière au fond de l’impasse du western spaghetti, il trouve une voie de sortie dans
laquelle se propulseront les grandes œuvres à venir de la seconde carrière de Leone, Il était
une fois la révolution
  et  Il était une fois en Amérique. Pour la première fois le ton est franchement désabusé, avec une jubilation qui n’est plus
qu’intermittente, presque un trompe-l’œil. Les personnages sont piégés dans leur passé tragique, d’où les flashbacks traumatiques et cet étirement du temps présent qui traduit l’incapacité de
tous à avancer, en dépassant leur hantise de la destruction sous toutes ses formes plutôt qu’en la reproduisant à leur tour. Il était une fois dans l’Ouest est ainsi
habité par le motif du viol, sous sa forme première (envers les femmes) autant qu’allégorique (le chemin de fer qui souille la pureté des paysages du Far West). En surmontant l’un comme l’autre,
le personnage de Claudia Cardinale permet au film de s’achever sur une note positive. L’absence d’une présence féminine comparable dans les deux longs-métrages qui suivront concourra à les rendre
si désenchantés.

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