• Turkish delights, de Paul Verhoeven (Pays-Bas, 1973)

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Où ?

À la Cinémathèque

Quand ?

Fin janvier, un samedi à 14h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Film de jeunesse (son deuxième, à 35 ans) de Verhoeven, Turkish delights fait rétrospectivement office de profession de foi, contenant sous une forme explicite toute la matière thématique et philosophique qui nourrira chaque long-métrage à venir du cinéaste. C’est la matrice d’une œuvre de combat, de clivage, de défi ; une œuvre foncièrement humaniste, car récusant toute entité ou conception, quelle qu’elle soit, qui serait supérieure à l’homme. Il n’y a pas de Dieu qui vaille, il n’y a pas plus d’ordre social créé de toute pièce qui fasse autorité. La monarchie en vigueur aux Pays-Bas, et l’obséquiosité qu’elle sollicite, est ainsi moquée au cours d’une séquence mordante. Bien plus rageuse et acide est la charge menée contre l’ordre bourgeois, celui qui vous intime de rentrer dans une case, de vous conformer au rang qui vous a été assigné une fois pour toutes. Tout au long du film, cette tutelle opprimante est mise sur un pied d’égalité, voire connectée de manière souterraine au pourrissement de la matière et des corps. L’un et l’autre constituent les deux périls essentiels qui menacent le bonheur du couple formé par Eric (Rutger Hauer) et Olga (Monique van de Ven) – et auront finalement, et malheureusement, sa peau. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir lutté, de toutes leurs forces. À la devise « pour vivre heureux, vivons cachés » Eric et Olga en préfèrent une autre, « la meilleure défense c’est l’attaque ». Ils s’engagent à corps perdu dans une guerre d’usure, acharnée et frontale, à même le terrain que leurs ennemis affirment asservir. Les deux amants manifestent une fureur de vivre qui ne connait ni répit, ni interdit. Ils baisent, ils créent (Eric est dessinateur et sculpteur, Olga sa muse), ils provoquent. En toutes circonstances, à tout instant, ils expriment leur liberté, donc leur existence, spirituelle et charnelle.

Ceux qui ne comprennent pas Verhoeven le réduisent bêtement à un artiste étiqueté « sulfureux », car ils sont dépassés par le sens politique subversif que revêt la forte présence du sexe dans son œuvre. Les dix premières minutes de Turkish delights font ainsi s’enchaîner sans temps mort des scènes de sexe très directes, très vives, placées là par la seule volonté du réalisateur (elles interviennent en réalité tardivement dans le récit) qui en fait une position de principe, excessive à dessein : voilà à quoi va ressembler mon film, si ça ne vous plait pas, barrez-vous. Ce qui est organique – ce qui relève des organes – y tient une place prépondérante, et aucune censure n’est appliquée en ce domaine par Verhoeven. Une filiation insoupçonnée se fait dès lors jour entre lui et les maîtres de la peinture flamande de la Renaissance, de Bosch et Brueghel à Rembrandt. À son tour il montre dans leur vérité crue les entrailles, il exacerbe ce qu’il se passe en elles, par elles, pour le meilleur et pour le pire. Turkish delights exprime l’urgence qu’il y a à tirer plaisir de son corps (par le sexe entre autres), car à tout moment la putréfaction, la maladie peuvent survenir et exiger leur dû. Et ce sans raison, ni justice. Le parallèle avec l’ordre social immuable imposé par les gens « comme il faut » resurgit alors ; lui aussi est arbitraire et mortifère. [spoiler] Il est le premier mal à abîmer Olga, à petit feu, avant que son équivalent physique prenne la relève pour l’achever lors d’une conclusion dont la violence sèche nous accable. Ce seul épilogue ridiculise toutes les manigances du pénible Amour de Haneke. Il est aussi radical et entier dans son exposition de la ruine des corps, que le prologue l’était pour célébrer la capacité de jouissance des sens. L’un est le négatif de l’autre.

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