• Saisons 5 (1/2) : Breaking bad

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Enfin tirée de sa léthargie longue de deux ans, passée dans le cocon trop douillet du laboratoire tout confort du gros baron de la drogue Gus Fring, Breaking bad n’a pas trainé pour reprendre le bon rythme. Aucune période de convalescence n’a été nécessaire pour rebondir suite au meurtre de Fring qui clôturait la quatrième saison, et rendait soudainement son autonomie à Walter White / Bryan Cranston. La longueur réduite de cette cinquième saison (8 épisodes seulement au lieu de 13, pour aboutir à un total de 16 pour conclure, répartis sur deux ans de production) y est possiblement pour quelque chose, mais elle n’est pour rien dans le naturel flagrant du retour de la série à ses dispositions de la saison 2. Dès le premier des huit nouveaux épisodes, c’est comme si la barbante parenthèse n’avait jamais existé, qu’elle n’était qu’un coma dont on se réveille un beau jour sans le moindre souvenir du temps perdu. Walter reprend son irrésistible ascension vers les cimes du crime là où il l’avait interrompue, et dans son sillage la série retrouve sa verve et son ambition dévoyées.

Cette reconquête est affaire de symboles, d’isolement et d’intransigeance. Breaking bad s’applique à restituer à Walter ses signes extérieurs de caïd en devenir – son chapeau noir, son nom d’emprunt (Heisenberg). Ce cérémonial entérine l’évolution terrifiante du personnage, en prolongeant sur le plan de l’apparence ce qui se fait jour épisode après épisode dans sa psychologie et sa conduite. Ayant éliminé le calife du lieu, et créé un appel d’air pour prendre sa place, Walter laisse libre cours à la part la plus mauvaise et mégalo de lui-même. Il ne faut pas attendre longtemps pour le voir révéler au grand jour son désir de régner sans concession sur tout et tous. Dès le premier épisode, il se mue en parrain tyrannique qui décide seul du rôle tenu par ses proches et associés, réduits au rang d’exécutants : les trois face-à-face glaçants qui concluent cet épisode de reprise, entre lui et Mike (seul rescapé de la période Fring, et superbement recyclé), puis son avocat Saul, et enfin sa femme Skyler, ne laissent aucun doute, aucun échappatoire.

L’hérédité avec Tony Montana, affirmée plus tard de manière un poil trop littérale avec l’incorporation d’un extrait de Scarface, donne à Breaking bad un souffle épique malfaisant sensationnel. La descente aux enfers parait irrémédiable, le point de non-retour est derrière nous. Les rails de la narration étant solidement rivés au sol et impossibles à dévier, les scénaristes peuvent concentrer leurs efforts sur la mise en place d’un plan criminel méchamment excitant et tonitruant quasiment à chaque épisode. Destruction de preuves dans un local de la police, braquage d’un train de marchandises, élimination simultanée d’une dizaine de cibles en plusieurs endroits différents, etc. : le quotidien de Walter devient définitivement celui d’un grand nom du crime, et la série se donne les moyens de le prouver concrètement à l’écran plutôt que de s’en tenir à des ellipses et des récits indirects (solutions de facilité et aveux d’impuissance trop souvent employés par la télévision). Cette brutale accélération dans l’action et le suspense se double d’un geste similaire dans la casse des rapports humains. Plus personne ne fait le poids pour s’opposer à Walter, qui ne se prive pas pour abuser de cet avantage en méprisant, éreintant et humiliant son entourage. Son ambition dévorante passe avant tout le reste, point sur lequel la série est une fois encore en osmose avec lui.

Il en résulte un double mouvement, qui s’étire sur toute la saison, d’expansion professionnelle (de locaux, les enjeux deviennent carrément internationaux) et de repli intime – les protagonistes annexes glissent peu à peu dans l’ombre, tous autant qu’ils sont, jusqu’au cœur du premier cercle. Plus aucun d’entre eux n’a d’histoire personnelle à faire valoir, et même des piliers tels que Hank, Skyler, Jesse sont rétrogradés au statut de faire-valoir. Walt écrase tout sur son passage, et comme lui Breaking bad ne fait plus aucun compromis, n’accorde plus aucun passe-droit. Et voilà que l’aiguille du baromètre incontestable de la qualité de la série, la présence d’humour de petit malin pour combler les trous d’inspiration dramatique, pointe à nouveau sur beau fixe ; comme dans la saison 2, pas de manques auxquels remédier = pas de gags faciles et commodes servant de béquilles. Même si elle ne maîtrise pas toujours entièrement la puissance de feu de la folle machine qu’elle a mise en branle (on compte une poignée de redites et impasses, qui sont autant de coups de volant un peu maladroits), Breaking bad est redevenue avec éclat une série qui compte, qui ose, qui frappe sans retenir ses coups. Sauvage et éprouvante à regarder, sans salut, ce qui est précisément ce pour quoi on l’aime. Croisons les doigts pour qu’elle profite de ce qu’implique son cliffhanger de fin de saison pour se montrer encore plus monstrueuse dans son dernier tour de piste l’an prochain. Le potentiel est indiscutablement là, et s’il est exploité comme il se doit on oubliera volontiers le caractère assez grossièrement artificiel de ce rebondissement de la dernière seconde.

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