• Promised land, de Gus Van Sant (USA, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Vendredi soir, à 22h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Gus Van Sant est un type vraiment sympa, un copain sur qui on peut compter. Demandez donc à Matt Damon : quand il décide trois semaines avant le début du tournage de Promised land de renoncer à en assurer la réalisation (ce qui aurait été une première pour lui), Gus Van Sant accepte de le suppléer au débotté. Et soudain c’est comme si l’on était projeté quinze ans en arrière, à l’époque de Will Hunting, où le cinéaste accordait déjà sa mise en scène à un projet dont Damon tenait la plume pour le scénario et le premier rôle à l’écran. Plusieurs choses ont tout de même changé d’un film à l’autre – l’identité du coéquipier de Damon (Ben Affleck hier, John Krasinski aujourd’hui), l’ampleur du sujet traité. Dans Promised land le destin individuel se double du dilemme d’une communauté rurale, sommée de se positionner pour ou contre l’exploitation des réserves de gaz de schiste de son sous-sol. En compagnie de Frances McDormand, Matt Damon incarne un VRP de Global, la multinationale désireuse de procéder aux forages. John Krasinski (vu dans The office et Away we go) lui fait face, en tant que militant écologiste venant soutenir la fronde naissante chez certains des habitants. Ces trois-là sont parfaits d’un bout à l’autre, de même que l’ensemble des rôles secondaires. C’est autant le fruit du talent personnel de chacun que de l’inestimable direction d’acteurs dont sait faire preuve Gus Van Sant. Promised land n’appartient pas à la part expérimentale et transcendante de l’œuvre de ce dernier, c’est entendu ; mais cela ne signifie pas pour autant que ses qualités soient mises en sourdine en attendant un matériau plus saillant.

Comme pour Restless, sa réalisation précédente et déjà mainstream, Gus Van Sant est pleinement là dans Promised land. Il tire le meilleur de ses comédiens, et compose autour d’eux une mise en scène superbe d’élégance et d’évidence. Dans le regard qu’il porte sur cette petite ville américaine, se lit une bienveillance sage et inquiète qui rappelle énormément ce que peut accomplir un Clint Eastwood. Gus Van Sant côtoie ces gens, se mêle à leur vie collective tout en gardant la pudeur de l’invité, et l’objectivité de l’observateur extérieur. Son film démarre ainsi par une séquence hors de la ville (qui restera la seule dans ce cas), chez les prédateurs de Global, dont l’ombre menaçante sera régulièrement rappelée par des plans de la campagne vue du ciel. Soit le point de vue de Global, dont l’unité de pensée est le million (de mètres cubes de gaz, de dollars de bénéfices), alors que celui des habitants est au niveau du sol, à hauteur des vies individuelles et familiales. Au contraire de Restless, Gus Van Sant a ici entre les mains un scénario particulièrement consistant, et intelligent. Damon et Krasinski ont écrit un film à l’engagement mûrement réfléchi, qui le rend particulièrement subtil et tranchant. Plutôt que de charger sabre au clair pour dénoncer la méchanceté des méchantes entreprises, Promised land garde la tête froide et décrit consciencieusement leur stratégie de conquête implacable des terres et des personnes.

La plus forte et plus terrible idée est de donner à l’empire de leur argent une dimension presque orwellienne. Par ce moyen inégalable de contrôle et de contrainte, Global transforme tous les protagonistes du récit en employés à sa solde, aux devoirs écrasants et aux droits ruinés. Le processus est on ne peut plus insidieux puisque faisant en sorte que chacun, jusqu’au personnage de Damon, est convaincus d’agir dans son intérêt, selon ses valeurs. Alors que le seul intérêt (financier), la seule valeur (boursière) servis dans l’affaire sont ceux de Global. La lucidité démontrée par Promised land dans son exposé, couplée à la grandeur de la réalisation de Gus Van Sant, fait pendant longtemps de ce film un reflet moderne, et inversé par la force des choses, du récent Lincoln de Spielberg. Ce dernier célébrait la démocratie à l’œuvre, Promised land expose avec la même justesse la confiscation du processus et son étouffement par le clientélisme et les intérêts privés. Les regrets sont dès lors vifs quand, dans sa dernière partie, le récit cherche à sauver les meubles en se réfugiant dans le cocon d’un happy-end érigé à la hâte. Les clichés confortables de la ruralité américaine sont convoqués pour le constituer, et les périls extérieurs soudain écartés hors du champ du film. Mais il est illusoire de vouloir nous faire croire qu’ils se sont effacés du paysage pour autant.

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