• Profession : reporter, de Michelangelo Antonioni (Italie – Angleterre, 1972)

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Où ?
Chez moi, en DVD (l’édition identique zone 1 / zone 2 de Columbia)

 


Quand ?

 

Juste après Noël

 


Avec qui ?

 

Ma femme

 


Et alors ?

 

Les 20 premières minutes de Profession : reporter, situées en plein cœur du désert saharien, sont stupéfiantes. Par l’aridité de sa mise en scène, son inhumanité
presque (échanges verbaux réduits au plus strict minimum, personnages écrasés dans le décor, caméra qui ne s’attache pas exclusivement à eux mais les observe comme une partie d’un tout plus
vaste), Antonioni rend palpable la disparition progressive de l’identité, de l’existence même d’une personne – et donc la possibilité du changement d’identité du reporter David Locke (Jack
Nicholson) qui, à la suite de ce qui semble être la déconvenue professionnelle de trop, décide de devenir M. Robertson, l’homme mort d’une crise cardiaque dans la chambre d’hôtel contiguë à la
sienne.

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Cette permutation comporte une grande part d’humour grinçant. Par un renversement malin du stéréotype habituel, elle se déroule en pays noir, où ce sont 2 blancs qui se ressemblent vaguement et
deviennent du coup interchangeables aux yeux des locaux. Plus cynique et troublante, la part d’introspection mise dans le film par Antonioni : à son image, Locke est un cinéaste reporter
cherchant à transmettre la vérité sur les hommes par la captation sur pellicule de leurs luttes et de leurs idéaux. Dans son commentaire audio, Nicholson rapporte plusieurs anecdotes confirmant
l’existence d’un tel transfert entre le réalisateur et son personnage, transfert difficile à oublier quand Locke rejette son existence pour devenir… trafiquant d’armes, le métier de
« l’homme d’affaires » Robertson.

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Le sentiment dominant est qu’Antonioni met à l’écran sa part obscure, ses inavouables tentations de renoncement. Mais une fois revenu dans le monde occidental, le changement s’avère en réalité
impossible. Les proches de Locke s’accrochent à lui, ou plutôt (ce qui est bien plus pervers) à ce qu’il produisait : ses reportages, ses interviews, qu’ils visionnent en permanence en lieu et
place d’objets qui leur rappelleraient la personne Locke et non sa fonction. L’être humain n’existe plus en tant que tel, il se doit d’être une source de quelque chose d’utile, de concret.

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La même infortune s’attaque à Locke dans sa peau de trafiquant d’armes. La fin tragique qu’il rencontre ne vient pas du fait qu’il ait usurpé l’identité de Robertson, mais de la fonction attachée
à l’image de ce dernier – les hommes qui le poursuivent ne cherchent pas à tuer « Locke » ou « Robertson », ils sont là pour se débarrasser du « trafiquant
d’armes », de même que les anciennes connaissances de Locke veulent retrouver le « reporter ». Dans la continuité logique d’un film où les lieux traversés par les personnages
(l’église à Munich, les maisons construites par Gaudi à Barcelone) ont autant, si ce n’est plus, d’importance que les personnages eux-mêmes et leurs actions, la dernière séquence de
Profession : reporter fait écho à la 1ère en revenant dans le désert – andalou cette fois-ci. Ce retour au point de départ, fait des mêmes maisons à la blancheur
éclatante, des mêmes autochtones indifférents, écrase Locke sous la sensation d’inutilité de toute cette quête, et de l’inéluctabilité du destin. L’interprétation de Nicholson, hagard et
hypnotique, l’exprime à la perfection. Tout comme le plan-séquence final mythique, dont les 7 minutes sont rendues interminables par l’opposition entre la lenteur sereine de la caméra et le drame
humain qui se joue pour partie hors champ. Drame déprécié par la mise en scène d’Antonioni, qui parachève là ce qu’il n’a cessé de nous susurrer tout au long de Profession :
reporter
 par ses mouvements de caméra s’attardant sur les à-côtés de l’intrigue : l’anonymat, l’insignifiance, l’éclipse (titre d’un autre film du cinéaste) nous guettent en
permanence, malgré nos efforts désespérés pour les rejeter à bonne distance.

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À la fin de son commentaire audio, Jack Nicholson dévoile l’astuce technique située au cœur de ce morceau de bravoure. Avant cela, ses souvenirs de tournage, ses anecdotes sur Antonioni (point
que j’ai déjà évoqué plus haut) et ses digressions autour des thèmes brassés par le film, dont une le mène jusqu’aux écrits de Tocqueville, donnent la très agréable sensation de regarder le film
à ses côtés, entre amis. On sent l’acteur toujours aussi impressionné, 35 ans après, par l’aventure unique que lui a fait vivre un grand cinéaste. L’autre piste de commentaires, qui fait
intervenir le scénariste Mark Peploe, est moins intéressante. Seule l’écoute du premier 1/4 d’heure, où est racontée la genèse peu banale du film, mérite le détour.

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