• La fille de nulle part, de Jean-Claude Brisseau (France, 2012)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Samedi, à 18h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

« Le monde est trop vaste et ses énigmes trop impénétrables » pour les hommes, écrivais-je à propos du dénouement d’À l’aventure, le précédent long-métrage de Jean-Claude Brisseau. La fille de nulle part reprend les choses à cet endroit précis et bifurque vers une nouvelle direction, perpétuant en cela un processus créatif à l’œuvre chez le cinéaste depuis une décennie – déjà remarquable entre Choses secrètes et Les anges exterminateurs, puis entre ce dernier et À l’aventure. La rampe de lancement de La fille de nulle part est la suivante : puisque l’expérience du monde sensible est si vertigineuse que toute tentative de l’embrasser dans sa globalité est vouée à un échec douloureux, pourquoi ne pas se retirer derrière les portes d’un appartement et y inventer un autre monde, modèle réduit dont l’on pourrait plus facilement prendre la mesure ? La résolution vaut devant et derrière la caméra, où Brisseau a établi un système de création a minima – son appartement comme lieu de tournage, son assistante et lui-même comme comédiens, son épouse comme monteuse, pas de preneur de son… Et pourtant, La fille de nulle part est un film relevant hardiment du genre fantastique, où les fantômes hantent les vivants et se manifestent à l’écran. Brisseau fabrique ses effets d’apparitions spectrales et de phénomènes paranormaux avec des moyens de misère, mais en se gardant bien de toute posture misérabiliste. Il n’y a d’ailleurs pas de quoi, les saynètes et sursauts relevant du surnaturel étant tout à fait opérants. Employée avec précision, la grammaire de base de son art – montage et cadrage, champs-contrechamps et jeux de miroirs – suffit au réalisateur pour stimuler notre imaginaire et cultiver notre plaisir.

Brisseau lui-même s’amuse de faire du cinéma ainsi, tout comme il s’amuse, dans la peau du personnage qu’il interprète, des surprises et étrangetés que réserve la vie. En toutes circonstances il refuse de s’abandonner à la morosité qui lui tend les bras, et préfère s’offrir à la promesse d’inconnu que porte l’aventure. Son film est éminemment ludique, guidé en permanence par l’allégresse de rêver et imaginer, étonner et s’étonner. La démarche vaut lorsque des fantômes s’invitent chez soi, mais aussi dans le contexte plus familier que représente le simple fait d’exister, et de penser. Quand ils ne sont pas dérangés par des visiteurs de l’au-delà, les deux héros de La fille de nulle part occupent leur quotidien à la rédaction d’un livre – un essai critique sur les croyances et les morales des hommes, à travers les siècles. Soit une entreprise follement ambitieuse et pourtant accessible à n’importe qui, ce que Brisseau met en exergue via le CV de ses deux penseurs autodidactes, un prof de maths à la retraite et une jeune femme « de nulle part », sans famille ni études. Il suffit de s’asseoir, au calme, et de discuter, d’échanger sans exclusive ni malice ses vues sur le monde, les hommes, la société. À l’aventure initiait le recours à cette méthode proche de la maïeutique, La fille de nulle part la développe et l’érige en art de vivre empreint de sagesse, s’épanouissant dans un tranquille repli sur soi. Il ne manque au film qu’une petite chose pour nous convaincre définitivement : un dernier acte à la hauteur du reste, en lieu et place de la conclusion hâtive qui vient couper un récit en plein essor.

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