• L’ordre et la morale, de Matthieu Kassovitz (France, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité la Défense

Quand ?

Mardi soir, en avant-première

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Dans ma critique du précédent long-métrage de Kassovitz réalisateur, le plus que douteux Babylon A.D., j’avais à son sujet la réflexion suivante : « mec révolté et fleur bleue qui s’insurge dans de grands élans transportés contre des choses vraiment pas cool (la télé et la violence dans Assassin(s), la guerre et la violence ici) ». Trois ans plus tard, L’ordre et la morale n’est qu’une pièce à conviction supplémentaire à l’appui de ce jugement. Kassovitz s’y révolte, s’y insurge, s’y indigne contre la guerre, et la violence, et surtout la politique politicienne. Son grand sujet prétexte est cette fois, pour la première fois, tiré d’un fait réel – l’assassinat de quatre gendarmes et la prise en otages de quinze autres par des indépendantistes kanaks sur l’île d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, en mai 1988. L’étonnement, plutôt positif, de voir ce cinéaste attaché au présent et au futur proche se tourner vers un passé déjà distant (pas de téléphones portables, d’internet) laisse vite la place à la consternation de constater que sa mise en scène est remontée plus loin encore dans le temps. L’enchaînement des opérations militaires, des luttes d’influence et des états d’âme individuels est traité sous la forme la plus académique et scolairement édifiante qui soit. L’ordre et la morale signe un repli assez ahurissant sur le cinéma à thèse tel qu’il se pratiquait dans les années 50 et 60, simpliste et péniblement insistant.

Le ton est donné avant même la première image, dès l’apparition du titre accompagné par un bruit fracassant de tambour. Attention, nous invective gravement Kassovitz par le biais de ce tambour, on n’est pas là pour rigoler. Au bout d’un moment, saoulé de ces coups de tambour qui reviennent sans arrêt mais aussi de monologues explicatifs à rallonge et de cadrages fronçant les sourcils jusqu’à risquer le claquage, on a envie de lui répliquer « why so serious ? ». Non pas qu’il faille prendre à la légère un tel sujet, mais parce que le film ne gagne rien à faire comme si les évolutions du cinéma de guerre, de guérilla, de politique qui ont eu lieu au cours des cinquante dernières années n’existaient pas. Je ne vais pas refaire tout l’historique, mais rien que dans la première catégorie L’ordre et la morale parait terriblement daté lorsqu’il s’aventure timidement sur des terres déjà foulées par Apocalypse now ou La ligne rouge avec autrement plus de modernité. Kassovitz fait la même erreur que récemment Clooney avec Les marches du pouvoir : il confond gravité et conservatisme rébarbatif.

Kassovitz réalisateur donne à Kassovitz acteur le rôle de Philippe Legorjus, le négociateur envoyé sur place par le GIGN mais mis sur la touche en raison de la préférence donnée par le gouvernement à une gestion de la crise par l’armée. On ne peut imaginer position plus confortable moralement. Rejeté à l’écart de l’action et du drame, le personnage alter ego du spectateur peut se draper dans son indignation de Blanc gentil horrifié et dégoûté par l’attitude et la violence des Blancs méchants. Lesquels sont très aisément identifiables dans le film, à leurs trognes patibulaires et leur propension à crier plutôt qu’à parler. Il est par contre hors de question de quitter l’évidence de l’indignation pour s’aventurer dans la complexité de la déconstruction des logiques et des manœuvres appliquées. Les méchants agissent comme des méchants parce qu’ils sont des méchants, dans un mouvement perpétuel fort commode. Quant aux victimes véritables, les Kanaks, ils sont rejetés dans l’angle mort de la guéguerre entre Blancs, simples prétextes à l’emballement moral du film mais auxquels on ne porte aucun intérêt réel. Leur lutte et leurs aspirations, leur vie et leur amertume sont éludées, tassées dans un discours ou dans le texte du carton explicatif final. Ce sont des figurants, comme peuvent l’être les noirs dans les films hollywoodiens traitant – ou pensant traiter – du racisme. Vaguement colonial dans l’âme en plus d’être monolithique dans son exécution, L’ordre et la morale est bel et bien un (mauvais) film des années 50.

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