• Ingmar Bergman jeune : Jeux d’été et Monika (Suède, 1951-1953)

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Où ?
Chez moi, en DVD zone 2. Les 2 films sont regroupés dans un même mini-coffret à petit prix (16 euros) édité par Les films de ma vie, qui en a sorti en même temps une demi-douzaine d’autres eux
aussi consacrés au grand réalisateur suédois.

 


Quand ?

 

La semaine dernière

 

Avec qui ?

 

Seul pour Jeux d’été, et avec ma fiancée pour Monika

 


Et alors ?

 

Jeux d’été correspond le mieux à la classification – un peu hâtive – de « Bergman de jeunesse ». Il ne présente en effet pas encore une mise en scène au style
unifié propre au réalisateur, mais plutôt des éclairs ici et là qui annoncent la suite : un usage appuyé des gros plans et de tout ce qu’ils peuvent véhiculer comme émotions profondes, une
croyance forte dans le pouvoir des signes et symboles. Ces ajouts personnels rehaussent un film qui est encore visiblement sous influence du cinéma américain classique de l’époque, avec un récit
dirigé par des mécanismes peu discrets – flash-backs, musique très expressive, fort ancrage dans un réalisme quelque peu étriqué.

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Mais la différence la plus marquante entre Jeux d’été est les œuvres futures du cinéaste réside dans son optique : l’amour n’existe pas seulement en théorie, mais aussi
en pratique. Même s’il n’est qu’éphémère, il peut être vécu pleinement, avec passion et abandon total et réciproque. Via l’idylle vécue le temps d’un été par une danseuse et un étudiant, Bergman
fait l’éloge sincère et enivrant d’un sentiment lié à l’adolescence, à la lumière (Jeux d’été est une histoire d’amour exclusivement diurne), à la nature luxuriante, à
la création artistique libre aussi : la relation amoureuse des 2 héros culmine dans un passage proprement adorable en dessin animé « à l’ancienne », avec des pages feuilletées donnant
vie à des dessins rapidement jetés sur le papier.

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Par opposition à cette passion simple et rieuse, les représentants de la vieillesse (les familles des 2 amants, le professeur de danse) sont égoïstement recroquevillés sur eux-mêmes. Leur vision
du monde est structurée, matérialiste, obsédée par la mort. Pour Bergman, les 2 états d’adolescence et de vieillesse, bien qu’en conflit, ne sont pas tant opposés que successifs, et la transition
du premier au second semble inévitable et arbitraire si l’on en croit le scénario de Jeux d’été. La morale du filmest donc tout de même très pessimiste, par son refus de
garder le rêve d’une jeunesse et d’un amour éternels en vie, ce que l’art peut tout à fait réaliser. Comme un fait exprès, cette conclusion déprimante, au temps présent, est la partie la moins
réussie. Elle souffre de se reposer sur des personnages peu ou pas vus jusque là, et en devient laborieuse, trop explicite.

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Bergman infléchit dans son film suivant sa position quant aux relations sentimentales, en modifiant une simple donnée : la rupture ne sera plus subie, mais volontaire. De même, le cinéaste
effectue une rupture marquée et ambitieuse dans sa mise en scène, faisant de Monika non plus un décalque de ce qui se fait ailleurs mais une œuvre elle-même charnière,
point de rencontre entre le néo-réalisme italien de l’immédiat après-guerre et la nouvelle vague française à venir.

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Comme les premiers, Bergman donne une place importante au contexte social peu amène dans lequel vivent Monika et Harry, le couple de héros (chacun a un travail ingrat, des patrons méprisants, une
famille pesante) et inscrit son récit dans la banalité de leur quotidien – repas, trajets, maigres loisirs. En précurseur des seconds, il contre ce déterminisme social par un grand romantisme
dans l’intrigue (la majeure partie du film suit la fugue du couple dans la nature) et une mise en scène bien plus aérienne que celle de Jeux d’été, quasiment
« impressionniste » : nombreux sont les plans sans dialogues, tournés en extérieurs, et qui transmettent des sentiments plutôt que des actions. En filmant de la sorte, Bergman est
cohérent de l’attitude de Monika et Harry, qui veulent vivre selon leurs émotions et non de manière pragmatique. La beauté et la fraîcheur du premier amour éclaboussent alors l’écran avec encore
plus de grâce que dans Jeux d’été, dans une série de séquences mémorables : la scène d’ouverture, la première nuit dans le bateau, l’exhibition par Monika de sa nudité à
Harry (en un montage merveilleux d’érotisme innocent), le long plan sur le bateau qui part au loin avec elle alanguie sur le capot…

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La plupart de ces moments indélébiles d’une passion amoureuse reviennent lors du final comme réminiscences de Harry, à l’heure pour ce dernier de faire le deuil de sa romance. Rétive au monde des
adultes, ordonné, sans surprises ni marge de manoeuvre, Monika le quitte en effet lorsque leur couple devient sérieux – mariage, enfant. Son énergie incontrôlable, ses brusques ruades viennent
secouer une 2è partie du récit qui sans elle serait convenue, à l’image de ce qu’offrait Jeux d’été. C’est elle qui fait véritablement la différence entre les 2 films en
refusant de jouer son rôle pré-écrit dans cette histoire banale, sans âme. Bergman signe là l’un de ses premiers personnages féminins forts, sûr d’elle-même, et lui donne raison en lui offrant un
long regard face caméra qui nous interroge sur notre propre attitude face à la routine mortelle à petit feu. Monika-le film a beau se clore sur Harry, c’est bien
l’esprit libertaire de Monika-la femme qui triomphe et vit en lui : les flash-backs cités plus haut, et le propre regard face caméra de Harry rendent la fin étonnamment sereine par rapport à ce
qu’elle devrait être sur le papier. Au lieu de voir un homme abandonné avec sa fille par sa femme, Bergman nous montre un homme auquel une femme a fait cadeau d’une fille, d’une passion
inoubliable, et d’un indéfectible amour de la vie.

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